Château de Tiffauges : Barbe Bleue en Vendée
Les habitants de Tiffauges affirment entendre les pleurs et les hurlements des pauvres enfants dans l’obscurité nocturne. Il faut dire que bien des maisons furent bâties avec des pierres prises au château après la mort de son seigneur. Devenu site touristique sous l’impulsion de la région vendéenne, le domaine revendique sa triste réputation haut et fort comme étant le château de Tiffauges, où Gilles de Rais devint une Barbe bleue.
Des ruines romaines à la légende de Mélusine
L’histoire du château de Tiffauges remonte à l’occupation romaine. Le nom même du domaine viendrait de Scythes tiffaliens, des hommes particulièrement grands et féroces guerriers, incorporés aux légions installées dans la région. Bâtie sur un ancien castrum romain, la forteresse eut à subir bien des affronts : prise par les Bretons au 5e siècle, ravagée par les Normands au 9e, il lui fallut attendre le 11e siècle pour connaître une certaine paix.
Entre les mains des vicomtes de Thouars, notamment de Geoffroy de Thouars, le château connut une nouvelle vie. La légende raconte que la fée bâtisseuse Mélusine l’aurait construit, sous son apparence d’alors, en une nuit. La femme serpent qui donna naissance à la lignée des Lusignan dont sont originaires les Thouars serait aussi la créatrice des forteresses de Pouzaugues, Mervent, Châteaumur et Vouvant. Quand elle fut victime de la fourberie des hommes, elle se jeta du haut d’une tour en les maudissant avec une promesse : celle que tous ses châteaux finiraient en ruines. La légende rencontrerait bientôt la réalité…
Bien avant les jours sombres, Tiffauges est étoffé d’un rempart muni de tours afin de garantir protection au village situé en contrebas. Tout au long du 12e siècle et jusqu’au 16e, le domaine devient plus vaste encore. Atteignant un total de 3 hectares, le château de Tiffauges peut se prévaloir d’être l’un des domaines les plus vastes de son temps. Lorsqu’il passe entre les mains des comtes de Laval, avec le mariage de Catherine de Thouars avec Gilles de Rais en 1420, Tiffauges compte :
- 18 tours plantées sur un rempart de 800 mètres ;
- un corps de logis plus proche du château fort dans le château que de la simple édification centrale alors courante pour un domaine seigneurial ;
- un espace si vaste qu’il accueillait un petit village en ses murs.
Château de Tiffauges : Barbe bleue dans ses murs
Les comtes de Laval n’ont pas attendu après Tiffauges pour être riches. Ainsi, Gilles de Rais se trouve être l’un des plus fortunés nobles français ralliés à la cause de Charles VII durant la seconde moitié de la guerre de Cent ans. Il combat avec Jeanne d’Arc pour « bouter les Anglais » hors du pays et faire couronner l’héritier légitime du trône à Reims. La victoire n’est pas acquise pour autant puisque la couronne enfin posée sur la tête de Charles VII ne renvoie pas immédiatement l’occupant sur son île : Jeanne d’Arc est capturée devant les murs de Paris, jugée, exécutée par des Anglais que le nouveau roi préfère traiter désormais avec diplomatie.
Ce choix politique lui coûte moins cher qu’à ses fidèles compagnons, dont Gilles de Rais qui voit partir en fumée sa fortune dans l’entretien de l’armée. Sans oublier une désillusion qui le pousse à abandonner la guerre pour rentrer à Tiffauges. Que le roi se débrouille sans lui à présent qu’il a acquis, semble-t-il, toute autorité ! Mais voilà que des rumeurs enflent autour du bouillant personnage : il vend ses propriétés sans retenue pour ensuite réclamer qu’on les lui rende à coups d’épées tandis que les serfs des alentours de Tiffauges voient leurs enfants disparaître. Il n’en faut pas plus pour que le baron, tout chevalier et seigneur qu’il soit, se retrouve accusé, par ses proches et des acquéreurs mécontents d’avoir été spoliés, d’être devenu fou.
Le roi le place sous tutelle et l’Inquisition décide de s’occuper de son cas. De menaces en dénonciations, de jalousie en délation, Gilles de Rais est arrêté, torturé, interrogé et finalement condamné après un procès qui laissera planer de lourds soupçons dans l’Histoire. Mais quels qu’aient pu être les motivations de ses accusateurs cléricaux, laïcs et familiaux ou les doutes quant aux méthodes employées pour le faire avouer, il n’en demeure pas moins que les parents des enfants disparus n’avaient peu ou pas de raison de mentir au sujet de leur seigneur. De plus, on sait que les aveux de Gilles de Rais demeurent difficiles à lire dans leur globalité même pour des esprits aguerris. Le bonhomme aurait bel et bien sacrifié près de 200 enfants à un démon pour obtenir le secret de la transmutation du plomb en or !
Les péripéties de Tiffauges à découvrir sur site
Les malheurs de Tiffauges ne s’arrêtent pas avec la mort de Gilles de Rais. Les guerres de religion des XVe et XVIe siècles lui apportent attaques et incendies avant un démantèlement ordonné par Richelieu en 1626. Les restes de ce splendide domaine jouent un dernier rôle national lors des révoltes vendéennes qui suivent la Révolution française.
Ces événements expliquent les nombreuses édifications qui se succèdent même après la disparition du sinistre baron :
- doublement du mur d’enceinte avec tour carrée à pont levis ;
- une chapelle castrale du 12e siècle préservée avec un crypte romane vendéenne ;
- la tour de Vidame bâtie après la mort de Gilles de Rais par celui qui le remplaça auprès de sa veuve, Jean II de Vendôme.
Ces éléments sont encore visibles aujourd’hui et c’est grâce à eux que le Conseil général de Vendée décide, en 2002, de racheter le site pour le transformer en atout touristique. Les visiteurs peuvent appréhender la tour de Vidame, une grosse tour d’artillerie, sur son plan en fer à cheval et surtout l’épaisseur des murs d’enceinte qui dénombrèrent 37 machicoulis tout au long du chemin de ronde. L’ensemble de la structure étonne encore quand on pense à sa curiosité : un simple murmure résonnait sans mal d’un bout à l’autre du chemin !
À la vue du domaine, alors que l’on entre par un pont levis reconstitué, on comprend aisément qu’une bonne centaine de personnes ait pu y vivre. On peut aussi envisager que Gilles de Rais ait pu commettre ses forfaits sans être soupçonné pendant un temps certain. Il avait fait aménager une douve intérieure autour du corps de logis ou donjon, doublée par un mur d’enceinte, de sorte de se protéger des habitants eux-mêmes et de toute visite inattendue. Un structure unique !
De nos, jours, et bien que le château de Tiffauges attire les touristes avec un rappel criard aux méfaits de son triste propriétaire, authentique source du Barbe bleue de Charles Perrault, les visiteurs sont saisis à la fois par la mémoire des murs, l’exposition de machines de guerre médiévales reconstituées à l’identique (catapultes, mangonneaux, bombardes, couillards, béliers, trébuchets), un film 3D mettant en scène la vie médiévale au cœur de Tiffauges, les risques encourus par les enfants vivant à proximité et des spectacles médiévaux qui valent bien ceux du Puy du Fou.
Visiter le château de Tiffauges
Sources :
- La France des lieux maudits, hors-série juillet/août 2014, Sciences et Avenir n°178 ;
- Images : commons Wikipédia, Jibi44 et Georges Balleyguier ;
- Images : Pixabay.