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C’est assez Noir pour Vous ? Histoire du cinéma Afro-américain

Aucun partenariat d’aucune sorte n’est à l’origine de cet article

Documentaire Netflix (désolée si vous n’avez pas accès à cette chaîne), « C’est assez noir pour vous ? » est une mine d’informations qui éclaire d’un jour nouveau l’histoire du cinéma afro-américain mais plus encore tout ce qu’il signifie. Dans un pays encore largement gangréné par le racisme, la créativité et le désir de s’approprier un pan de l’économie des États-Unis par des citoyens relégués aux rôles de figurants, de bandits, d’esclaves ou tout simplement invisibles fait mouche. Des premiers films parlants à la fin de la blacksploitation, découvrez ce que les intervenants de « C’est assez noir pour vous ? » ont bien raison d’appeler le « génie noir ».

Tout commence avec un rêve d’enfant, celui de futurs actrices, acteurs, réalisateurs, scénaristes noirs. Lorsque l’on se nomme Samuel L. Jackson ou Whoopi Goldberg et que l’on grandit avec la ségrégation, on reste marqué par de nombreuses situations dérangeantes. Parmi celles-ci, trop nombreuses pour en dresser une liste exhaustive ici, le fait que tous les héros de cinéma sont des blancs. Westerns, romances, thrillers, premiers films d’épouvante (Dracula – 1931) : tous les protagonistes sont des gens de couleur blanche.

« Quand j’allais au cinéma, c’est l’endroit où on rêve. En rentrant du cinéma, je rêvais d’être ce pirate que j’avais vu. Mais j’avais besoin d’un cow-boy noir. »

Samuel L. Jackson

Comment alors s’identifier, rêver et même imaginer devenir l’un d’eux quand on est une petite fille ou un petit garçon noir ? Certes, il y a les courtes apparitions de comédiens noirs (Willie Best, Alfalfa, Buckwheat, Stymie) souvent connus uniquement sous leur surnom d’artiste, cantonnés à des rôles reflet de ce que les Noirs sont alors dans la société blanche américaine : des domestiques, des travailleurs de misère, des gens dont on se moque, que l’on rabaisse, dont le rôle comique exagéré par les scénarii assure de les garder « à leur place »…

Mais les années passent, le temps fait son œuvre dans la souffrance et les choses changent.

Premier héros Noir du grand écran US : Sydney Poitier qui a l’audace de jouer une gifle donnée à une collègue actrice blanche dans L’Esclave Libre (scène coupée au montage) en 1957. Et ce qui surprend alors le public noir ce n’est pas tant cette censure mais le fait qu’un Noir gifle une Blanche et que cela soit, sinon montré, mais suggéré au regard du grand public (donc une majorité de spectateurs blancs) !

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« J’ai appris que j’avais plusieurs ennemis : l’image que la communauté a d’elle-même, et le regard du monde sur notre communauté »

Harry Belafonte

En parallèle, Harry Belafonte et Dorothy Dandridge (Carmen Jones – 1954) forment un couple de cinéma qui illumine les écrans. Belafonte, acteur et chanteur noir, impose son jeu et ses choix le poussent loin des écrans hollywoodiens au profit de Poitier. Ce dernier devient non pas un Noir dans un film de Blancs mais un Noir qui joue avec les Blancs, en égal. Le talent des comédiens de couleur est en marche vers le succès.

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« On veut le noir à ses côtés. Parce qu’il va t’aider à t’en sortir. […] On sait comment s’en sortir. On sait comment échapper aux zombies […] à tout ce qui se jette sur nous »

Whoopi Goldberg

La société américaine des années 60 entame un voyage mouvementé. Lutte pour les droits civiques, guerre du Vietnam qui voit plus de jeunes hommes issus des minorités partir au front, meurtres de représentants de la communauté noire (Martin Luther King Jr. et Malcom X) accouchent d’émeutes, de rébellion et d’une violence qui démontre que désormais, les Afro-américains revendiquent leur droit à exister au sein d’une société qui les nie depuis des siècles.

Plus paisiblement mais non moins héroïquement, le cinéma noir fait son bout de chemin. Sammy Davis, Cecily Tyson, Ivan Dixon, Abbey Lincoln imposent leur talent tandis que Petula Clark, une femme blanche, fait sensation en osant toucher le bras de Harry Belafonte !

La première version de La Nuit des morts-vivants tournée en 1968 est aujourd’hui surtout connue des puristes du genre. Bien que son remake tourné à l’identique mais en couleurs et avec d’autres comédiens en 1985 parce que George Romero n’avait pas pu reprendre les droits sur son premier film, une petite révolution idéologique transpire de cette version initiale.

Imaginez : dans une Amérique qui méprise les Noirs, un film montre qu’un homme noir (Duane Jones), seul, se bat et gagne face à un fléau qui terrorise et tue les rares survivants Blancs.

Mieux encore : il tient un fusil et s’en sert sur des Blancs (même s’ils sont des zombies…).

Mais l’ensemble du récit dépeint autre chose.

Un homme noir qui lutte pour survivre face à une armée de Blancs, d’êtres qui ne pensent pas tant leur esprit est formaté de haine et de mépris. Et alors qu’on pense qu’il a gagné le droit de vivre, il est abattu par d’autres survivants, des Blancs, qui jettent son corps sur le brasier dévorant déjà les corps des morts-vivants inanimés.

L’allégorie est puissante et son message sans équivoque à qui veut bien le voir. Ce film, considéré encore aujourd’hui comme un chef d’œuvre qui créa le film d’horreur dans toute sa noblesse, est un grand succès en salle dès sa sortie. On ne regarde plus la couleur de peau, on regarde un héros.

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« Oh mon Dieu, ces chemises bleues, ces costumes, cette moustache bien taillée, il était beau comme un camion. »

Laurence Fishburne

Si quelques réalisateurs et producteurs Blancs tels que Jules Dassin, papa de notre national Joe
Dassin, donnent vie à des films notables écrits pour des acteurs noirs (Point noir – 1968), le film afro-américain connaît sa véritable révolution avec la blaxploitation. Si le terme fait encore polémique, les faits sont là. Films de tous genres, du drame à la comédie en passant par les films d’action, de suspense et les thrillers, le cinéma noir revendique une créativité que l’on ne peut qu’admirer. À tel point qu’elle fut rapidement reprise et copiée par nombre de réalisateurs blancs par la suite tant elle imposa un style, une manière de filmer, un type de héros (Shaft, Cotton comes to Harlem).


Quand on n’a pas le choix, on fait les choses par soi-même !

  • Les sentiers de la violence – 1969
  • L’insurgé – 1970
  • Cotton comes to Harlem – 1970
  • Shaft, les nuits rouges de Harlem – 1971
  • Coffy – 1973
  • The Black Godfather – 1974
  • Sounder – 1972
  • Lady sings the blues – 1972

Au menu ? Les couleurs, l’élégance, l’audace, l’irrévérence, le style unique d’une culture qui s’est construite seule, sur la base d’un héritage passé sous silence pour mieux exploser durant cette décennie des seventies. Soudain, les acteurs noirs étaient au premier plan, au même niveau que leurs homologues blancs. Vêtus de beaux costumes, filmés dans leur environnement quotidien, partagé avec les spectateurs, déclinant leurs dialogues avec une nonchalance qui ne masquait pas la révolution en marche.

« Vous avez vu ce pitre blanc ? Vous l’avez identifié ?
_ Je ne sais pas lieutenant, peut-être bien. Pour moi, ils se ressemblent tous. »

Godfrey Cambridge dans Cotton comes to Harlem – 1970
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« Oh mon Dieu, ces chemises bleues, ces costumes, cette moustache bien taillée, il était beau comme un camion. »

Laurence Fishburne

Sans oublier la petite phrase répétée en boucle durant tout le film, dans la bouche de différents personnages et jusque dans la chanson du film Cotton comes to Harlem, choisie comme titre du documentaire lui-même : « C’est assez noir pour vous ? »

Isaak Hayes (réinterprétation du thème musical d’Il était une fois dans l’Ouest, Shaft)
Melvin Van Peebles, réalisateur qui invite la musique au premier plan de ses films. Telle un personnage à part entière, elle donne le ton dans Watermelon Man (1970) avant de devenir un hymne absolu avec Shaft, les nuits rouges de Harlem (1971). Et n’oublions pas Marvin Gaye et son ode à Trouble Man.

Dès lors, les bandes originales écrites pour les films afro-américains révolutionnent aussi les bacs de vinyles jusqu’à l’Académie des Oscars. Alors que le cinéma Hollywoodien dominé par les Blancs négligeait la musique, ne sortant les disques que sporadiquement et parfois des mois après la sortie en salle des films, le cinéma afro-américain impose les bandes originales comme véritables supports de promotion et d’adhésion à ses films. Et qui imita rapidement le mouvement ?

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L’industrie du cinéma US fournit, à maintes reprises, beaucoup d’efforts pour gommer le cinéma noir des écrans, tout en copiant la recette de son succès… cherchez l’erreur !
Plus on regarde ce documentaire plus on réalise que le style des acteurs, des réalisateurs, des compositeurs a été copié à l’infini depuis par des artistes aujourd’hui reconnus à l’international.

Tout simplement parce que toute la genèse du cinéma africain-américain est étalée sous nos yeux avec justesse, objectivité, humour et pédagogie.
Avec l’histoire des États-Unis comme fil conducteur discret mais pesant de ce récit, ce documentaire aborde la ségrégation, le racisme, les droits civiques, les émeutes de Watts (Los Angeles ?), Martin Luther King Jr., le meurtre barbare du jeune Emmett Till, les rêves, les aspirations, les freins et les entraves vécus par plusieurs générations d’afro-américains.

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C’est assez noir pour vous ? aborde la tragique destinée du jeune Emmett Till avec pudeur et justesse

« Ce qui m’a fait prendre conscience des choses c’est la photo d’Emmett Till dans le [magazine] Jet, et le lendemain, je n’étais plus la même personne »

C’est assez noir pour vous ?

Petit regret : Spike Lee aurait été un intervenant bien sympathique à écouter.

Autres bonnes raisons ?

  • Elvis Mitchell écrit, conte, réalise et produit toujours de bons films et documentaires.
  • C’est documentaire assez objectif, sans pathos ni exagérations, qui conte les faits historiques et artistiques dans un mélange très équilibré, ludique et instructif.
  • On découvre des faits choquants, aberrants comme de voir des acteurs blancs maquillés de noir pour jouer le rôle musiciens noirs alors qu’il aurait suffi d’embaucher des musiciens noirs !
  • On peut se faire une liste de chefs-d’œuvre à découvrir par la suite.
  • On APPREND tant et tant de choses sur le cinéma, les africains-américains, le cheminement des artistes noirs-américains vers la gloire qui nous semble si évidente aujourd’hui, etc., 🤩 !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
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C’est assez noir pour nous ? de Elvis Mitchell
Avec Whoopi Goldberg, Samuel L. Jackson, Zendaya, Margaret Avery, Charles Burnett, Antonio Fargas, Billy Dee Williams, Laurence Fishburne

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