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Le génocide au Rwanda 30 ans après | anniversaire de l’horreur

Ce printemps 2024 voit arriver un anniversaire sans joie et teinté de réminiscences diverses. Entre le 6 avril et le 17 juillet 1994, un massacre systématique est organisé dans un pays qui ressemble pourtant à un paradis terrestre. Une nature dont la beauté ne masque pas le sang versé. Tandis que quelques ouvrages viennent timidement nous rappeler cet épisode si proche de nous, les grands médias vont sans doute y consacrer moins de 5 minutes dans leurs actualités. Que reste-t-il de la mémoire du génocide au Rwanda 30 ans après ?

Comme trop souvent dans l’histoire de l’humanité, un événement déclencheur sonne le glas d’une paix déjà malmenée par les luttes de pouvoir et des rivalités ethniques incessantes, aiguisées par une colonisation ignorante.

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Le soir tombe doucement sur Kigali, capitale du Rwanda, lorsque l’avion présidentiel amorce sa descente après un vol tranquille depuis la Tanzanie. À son bord, le président du pays, Juvénal Habyarimana, est accompagné de son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira et du général de son armée. Les 3 membres d’équipage sont tous français. Ils reviennent d’un sommet destiné à dénouer les crises politiques actives tant au Rwanda qu’au Burundi. Ces deux pays souffrent en effet des mêmes querelles ethniques.
Mais leurs conclusions ne seront jamais connues : abattu en plein vol par un missile sol-air, l’avion explose et ne laisse aucun survivant.

Qui sont les auteurs de cet attentat ? Les incertitudes mêlées de complots politiques internes et externes au Rwanda ne sont toujours pas clairement identifiés.

Comme trop souvent dans l’histoire de l’humanité c’est pourtant cet attentat qui enclenche le pire.

Au moment de sa mort, Habyarimana n’a pas que des amis. Il est Hutu, il appartient donc au clan majoritaire rwandais qui revendique le pouvoir sur le pays depuis l’indépendance puisque représentant 80 % de la population. Le pays est surpeuplé et souffre de nombreuses crises agricoles entraînant famine et manque d’eau.

De plus, Habyarimana s’est fait des ennemis au sein de son propre clan tout autant que chez les Tutsis exilés en Ouganda depuis sa prise de pouvoir.

Depuis 1993 et suite à l’offensive du FPR (Front patriotique Rwandais) emmené par des Tutsis depuis l’Ouganda, il a en effet :

  • fait éliminer une partie de l’opposition hutue ;
  • ordonné des représailles sur la population tutsie ;
  • créé des milices extrémistes hutues ;
  • accepté, et sous l’insistance de la France qui le soutenait comme étant un bon allié sur place, un cessé le feu et les accords d’Arusha l’obligeant à partager le pouvoir avec le FPR ;
  • laissé s’installer durablement un contingent de l’ONU pour veiller au respect des accords.
    Accusé de trahison, Habyarimana vit alors le crépuscule de son règne.

Quel que soit l’auteur de l’attentat qui lui coûte la vie, Habyarimana offre à l’opposition extrémiste hutue les armes pour sa terrible campagne d’extermination.

Le génocide Tutsi pourrait ressembler à une vague de colère, une simple vengeance pour la mort d’un leader. Mais les faits tels qu’ils nous sont à présent connus démontrent une organisation pensée sur le long terme.

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Simultanément à l’attentat, une déferlante meurtrière s’en prend d’abord aux membres de l’opposition hutue. Tous ceux qui se sont un jour manifestés contre le pouvoir de Habyarimana, ministres, journalistes ou simple membre d’une association, sont tués par les miliciens. Dix casques bleus belges de l’ONU qui protègent le premier ministre Agathe Uwilingiyimana sont faits prisonniers, torturés et lynchés. La Belgique rappelle immédiatement ses soldats, laissant le contingent de l’ONU réduit à moins de 300 hommes.

La place est libre pour une junte militaire au pouvoir emmenée par Jean Kambanda et la plus puissante organisation extrémiste du pays, l’Akazu.

Face à la déferlante assassine, les rares forces défensives présentes ne font pas le poids. 300 casques bleus et 600 soldats de l’Armée patriotique rwandaise installés à Kigali luttent en vain.
Avec la complicité des administrations locales, c’est tout le pays qui plonge dans un sanglant plan d’épuration ethnique.

Maisons incendiées, bétail volé, résidents tués : les Tutsis se regroupent dans des lieux publics avec l’espoir de survivre. Les écoles, les églises, les hôpitaux, les centres sportifs, les hôtels sont de maigres abris rapidement métamorphosés en pièges. Après avoir été privés d’eau et de nourriture, ils sont systématiquement assassinés. Et quand les grenades et les armes à feu n’ont pas terminé le travail, la besogne revient aux machettes des miliciens ainsi qu’à une population hutue galvanisée par la haine.

Armes improvisées en main, le massacre des Tutsis est aussi le fait de voisins, collègues de travail, amis devenus ennemis. Comment ? Une vision sociétale méthodiquement travaillée depuis des décennies, et transformée en vérité absolue des jours et des nuits durant par voie de presse.

Laquelle ?

Journal de propagande gouvernementale, radio-TV milicienne, ils répètent inlassablement le grand argument « régler le problème tutsi par la machette ». La Radio-Télévision Mille Collines créée par les extrémistes hutus appelle à la tuerie, encourage les génocidaires avec des arguments issus, entre autres, du Manifeste des Bahutu.

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Les Tutsis sont présentés comme des animaux à abattre, à traquer, chasser et tuer avec cruauté. Tout Hutu devient un meurtrier en puissance. La journée traditionnelle du umunga (travail collectif) devient celle du massacre groupé. Même des enfants seront reconnus coupables de tuerie (près de 5 000 enfants seront jugés et condamnés par la suite).

Ces voisins et connaissances auxquels les Tutsis font confiance, utilisent ce qu’ils savent de leurs habitudes pour les piéger et les mener à la mort. Certains Tutsis ignorant le phénomène confient leurs enfants à leurs « amis » Hutus dans l’espoir de leur sauver la vie sans savoir qu’ils seront remis immédiatement à la milice.

Les Tutsis ne doivent pas en réchapper et si cela devait arriver, il faut détruire leur ethnie à la racine : dès lors, le viol est utilisé comme arme de guerre par tout milicien ou génocidaire issu de la population : plus de 200 000 viols sont recensés en 3 mois.

Heureusement, tous les Hutus ne participent pas au massacre. Au péril de leur vie, certains cachent les persécutés ou les aident à fuir.

Cette participation de la population démultiplie l’efficacité du génocide. En trois semaines, on dénombre de 800 000 à 1 million de personnes sont tuées.

On pourrait croire que la communauté internationale a mis fin au génocide. Plus encore en raison des informations qui ne cessaient d’inonder les écrans de télévision. Mais tandis que France et Belgique se contentent d’évacuer leurs ressortissants et ferment les ambassades, l’inaction condamne un peu plus de Rwandais jour après jour. Il faut dire que le fiasco somalien est encore dans les mémoires occidentales.

Au cours des décennies suivantes, d’autres arguments ne manqueront pas d’être révélés…

Dès avril, le FPR mobilise 5 000 hommes de sa branche armée l’APR (Armée patriotique rwandaise). La reconquête du pays est violente et n’épargne pas les civils, ce qui sera également décrié au cours des années suivantes.

La force de l’APR réside dans la motivation, la formation et la discipline de ses soldats, tout le contraire des Forces armées rwandaises officielles. Bien que supérieure en nombre, trop occupée à massacrer les Tutsis, elle ne représente pas un adversaire capable de stopper l’APR. Seules les milices opposent une réelle résistance, ivre de sang et de leurs idées extrémistes.

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Sous l’impulsion de ses victoires, l’APR reçoit le soutien de 5 500 soldats de l’ONU, un peu tard… Moins glorieux encore, la France met en place l’opération Turquoise, très controversée depuis. Non seulement, elle intervient alors que le génocide est déjà stoppé et que l’APR est certaine de sa victoire, mais elle semble surtout se soucier de mettre à l’abri des génocidaires en cavale.

Lorsque la situation est officiellement maîtrisée, ce sont des Hutus modérés, le Pasteur Bizimungu et Faustin Twagiramungu, et le chef tutsi du FPR Paul Kagame qui se partagent le pouvoir.

Pour tenter de comprendre, il faut remonter avant la colonisation. Le Rwanda se divise alors en clans. Pour faire simple, les Rwandais vivent dans une société de type féodal avec :

  • Les Tutsis = éleveurs
  • Les Hutus = agriculteurs
  • Les Twa = artisans

L’élite est majoritairement tutsie bien que certains chefs soient des Hutus.
Cette inégalité est compensée par une entraide bénéfique au plus grand nombre.

Les choses dérapent lorsque les Allemands colonisent le Rwanda au cours du XIXe siècle. Leur interprétation de la société rwandaise est faussée par leur propre culture. Ils apprécient la monarchie tutsie et racialisent les clans par des différences physiques réelles ou imaginaires. Ils envisagent ainsi que les Tutsis ressemblent plus volontiers aux Allemands de par leur grande taille et leur peau plus claire.

Suivant une mécanique de réflexion toute allemande dont l’ensemble de l’Europe connaîtra les dérives au cours du XXe siècle, ils décident que les Tutsis forment la classe dirigeante et encouragent une organisation sociétale en ce sens.

Après la défaite de l’Allemagne en 1918, le Rwanda échoue entre les mains de la Belgique. Rattaché au Congo belge, le petit pays poursuit sa route marquée par un classement racial intellectuel et scientifique déshumanisé.

À tel point que l’administration belge oblige les Rwandais à inscrire leur appartenance ethnique sur leur carte d’identité. Les Tutsis ont accès à de nombreux privilèges coloniaux : meilleures écoles, emplois dans l’administration, revenus plus élevés. L’écart se creuse entre les Tutsis et les Hutus, souvent dans la rancœur. Les premières graines de la chasse aux Tutsis sont plantées…

Après la Seconde guerre mondiale, la vague de revendications indépendantistes déferle aussi sur l’Afrique. Ce sont les Tutsis qui mènent cette volonté nationale tandis que les Hutus réclament surtout plus de droits pour leur ethnie, notamment l’abolition des privilèges de la minorité tutsie.

Le résultat n’est pas celui escompté : une première révolution dérive en guerre civile entre 1959 et 1961. Menacés du pire, de très nombreux Tutsis fuient le pays pour le Congo et le Burundi tous proches. Les Hutus s’installent au pouvoir avec l’aval discret de l’administration belge qui espère ainsi éviter que ces revendications ne gagnent le Congo toujours sous sa tutelle.

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Ancien drapeau du Rwanda
Nouveau drapeau depuis 2001

L’indépendance du Rwanda est finalement proclamée le 1er juillet 1962. C’est un Hutu radical qui en prend la présidence, Grégoire Kayibanda. Sous son autorité, les Tutsis sont accusés de tous les maux du pays, passés et présents. Les rares Tutsis survivants qui sont restés perdent leur emploi, l’accès aux écoles, etc., et deviennent des parias dans leur propre pays.

Dès 1963, les réfugiés Tutsis du Burundi tentent un retour par la force. Les représailles sont immédiates et sanglantes, le régime en place s’en prend à tous les Tutsis encore présents au Rwanda. Ceux qui en réchappent deviennent des otages que le président Kayibanda promet d’exterminer si toute autre tentative de rentrer au pays devait provenir des réfugiés.

Entre cette menace extérieure et les rivalités politiques internes, le délire autocratique de Kayibanda ne trouve qu’une seule façon de faire face : unir les Hutus contre un ennemi commun. Les Tutsis sont donc la cible à abattre. De nouveaux massacres sont perpétrés en février 1973. C’est dans ce contexte que Juvénal Habyarimana, un Hutu faussement modéré, enclenche un coup d’état avec le soutien de l’Occident auquel il fait de fausses promesses.

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À peine au pouvoir, il se mue en dictateur, conserve la mention ethnique sur les cartes d’identité, fiche tous les Tutsis du pays et met en place des quotas démographiques visant à limiter leur nombre dans la société pour longtemps.

Leurs espoirs déçus, les milliers de Tutsis exilés s’organisent en groupe politique et militaire depuis l’Ouganda, le Burundi et le Congo. Ce sera le Front patriotique rwandais (FPR) et son armée l’APR. Cette force est officiellement celle qui met fin au génocide en juillet 1994.

Le régime encore en place de Paul Kagame devenu président du Rwanda laisse planer de nombreux doutes sur son implication dans l’attentat qui enclencha le massacre. D’aucun prêtent également au chef du FPR l’intention initiale de sacrifier une partie de la population tutsie dans le but de reprendre le pouvoir aux dirigeants hutus, d’autant plus volontiers qu’une large partie de l’APR était prête et positionnée à la frontière (donc prête à agir) dès le lendemain de l’attentat…

Certains historiens et spécialistes défendent l’idée selon laquelle la menace armée tutsie venue des frontières aurait permis de galvaniser la population hutue et armé le massacre d’une justification du type : « tuez-les avant qu’ils ne vous tuent ». Dans la même optique, de nombreux réfugiés Hutus, génocidaires et non génocidaires, qui ont fui après la reprise du pays par le FPR et Paul Kagame auraient fait l’objet à leur tour de tueries. Ce conflit ainsi importé dans les pays voisins, notamment à l’ancien Zaïre, future République démocratique du Congo serait à l’origine de la première guerre du Congo (1996-1997) et expliquerait la situation qui y perdure actuellement avec plus de 6 millions de morts recensés à ce jour.

En ce début de printemps 1994, j’ai 15 ans, je peine à avoir des résultats convenables dans certaines matières d’autant plus que cette année de seconde n’efface pas mon expérience dans un collège qui m’a fait détester l’école. Comme pour les années qui vont suivre je suis néanmoins obsédée par mes notes et mon petit monde ne tourne qu’autour du cercle restreint de ma famille et de mes rares amis. La tête pleine de soucis adolescents, de rêves aussi, je regarde, sans vraiment comprendre, des images qui envahissent soudainement les journaux télévisés.

C’est ainsi que je me souviens du génocide rwandais.

Une image reste particulièrement gravée dans ma mémoire, 30 ans plus tard. Celle d’une route de terre rouge, bordée d’une verdure jonchée de corps sans vie. Combien sont-ils, je l’ignore, je ne compte pas, je suis tétanisée par cette vision d’un monde dont je n’ai entendu parler qu’en cours d’histoire. Un monde en guerre. Un monde au sein duquel on tue des femmes, des enfants, des vieillards, des hommes sans défense. Uniquement parce qu’ils sont ce qu’ils sont.

Je me souviens du silence aussi.

Pas chez moi car mes parents ont toujours tenté de répondre à mes questions, bien qu’en ce mois d’avril 1994 ils sont aussi démunis que moi. Pas dans les médias qui, pour certains réalisent au fil des jours qu’un cataclysme est en marche et tentent maladroitement d’en expliquer les causes.
Mais le silence à l’école. De nos jours, les professeurs parlent trop ou pas assez. Lorsque j’étais élève, alors qu’ils ne craignaient que les représailles administratives, ils abordaient peu l’actualité, alors même qu’elle nous explosait à la figure.

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En ce mois d’avril 2024, cela fait 30 ans que cette image me hante, 30 ans que les mémoires tentent de réconcilier passé et présent, survivants et génocidaires, devoir de mémoire et désir d’aller de l’avant. J’ai tenté de comprendre, j’essaie toujours. Je remercie Pierre Péan pour son travail et son honnêteté : grâce à lui, j’ai commencé à comprendre.

Histoire Sympa ne vous présente pas toujours un point de vue ludique sur l’Histoire et il est difficile d’observer cette ligne éditoriale avec un tel événement. Mais, comme pour tout fait historique d’une telle gravité, il est important d’en parler, de rappeler, d’expliquer autant que possible. Le Rwanda a créé ses propres tribunaux pour juger les génocidaires, fait appliquer ses sentences, créé un mémorial et même plusieurs. En marge d’un pays qui se reconstruit sur une montagne d’ossements, le devoir de mémoire et les fantômes du génocide se heurtent souvent au légitime désir d’aller de l’avant. L’Occident coupable d’attentisme, d’aveuglement volontaire est aussi jugé par les historiens, et plus on en apprend, plus on en vient à accepter que de très mauvais choix ont été faits. Pour preuve ? Tous les pays voisins du Rwanda ont souffert et souffrent encore des conséquences de cette guerre fratricide. La République démocratique du Congo continue d’en payer le prix.

  • Livre : Noires fureurs blancs menteurs de Pierre Péan, éditions Pluriel, 2014
  • Film : Hôtel Rwanda de Terry George avec l’excellent Don Cheadle, 2005 (malgré la controverse, le film reste intéressant à regarder pour saisir le contexte général)
  • Série : Netflix Black Earth Rising
  • Visiter : Memorial du genocide à Nyamata

Photos :

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