Missing de Costa Gavras | Coup d’État Chilien 1973
Il existe peu de médias ou de livres relatant, en français, les heures sombres du règne d’Augusto Pinochet. Dictateur auto-proclamé du Chili durant 17 ans, responsable d’un massacre organisé de la population, le général est arrivé au pouvoir suite à un coup d’État impliquant le gouvernement américain. S’inspirant de l’histoire vraie du journaliste Charles Horman, Costa-Gavras a tourné Missing – Porté disparu sur le coup d’état chilien. Un film qui n’a pas pris une ride et témoigne de sales secrets bien cachés.
Missing : le tragique destin de Charles Horman
Tu crois que c’est intelligent de garder toutes ces notes ?
Je pensais à ce que Patrick racontait : des cadavres partout.
11 septembre 1973.
Beth et Charlie, un jeune couple d’américains, vivent à Santiago depuis un moment déjà. Comme beaucoup de jeunes gens de leur époque, ils aspirent à une autre vie, éloignée des illusions consuméristes de leur pays. Ils aiment leur vie au Chili mais, depuis quelques temps, le ciel tourne à l’orage. Des rumeurs se répandent, évoquant le spectre d’un coup d’état. Charlie, infatigable curieux, revient d’une petite excursion sur la côte avec son amie journaliste Terry. Ils y ont croisé une bien étrange réunion de militaires et de « spécialistes » américains de la guerre anti-communiste.
Notre hôtel était bourré de militaires américains, des officiers.
À votre place j’oublierais ça.
À leur retour dans la capitale, les choses dégénèrent : la violence est omniprésente et la répression frappe les Chiliens. La menace est telle que Charlie se laisse convaincre par Beth de quitter le pays. Il accepte de partir mais pense que la nationalité américaine les protège. Pourtant, lors de ce qui devait être leur dernière nuit à Santiago, tandis que Beth est coincée, errante et terrifiée, dans les rues en plein couvre-feu, Charlie disparaît.
Trois semaines plus tard, sans réponse satisfaisante, sans piste aucune, Ed Horman, le père de Charlie, arrive à Santiago. Il croit connaître son fils, un rebelle à l’ordre des choses et un paresseux qui aimerait vivre sans travailler. Son idée est que Charlie a commis une bévue et se cache pour éviter les ennuis. De son côté, Beth affirme que cette disparition est suspecte. Entre mésentente générationnelle et faits incontestables, une vérité terrifiante apparaît : Charlie reste introuvable quand ses amis ont été arrêtés et peut-être tués.
Missing de Costa Gavras : un film d’après des faits et un réel vécu réels
Qu’est-il arrivé à Carlos ?
Qu’arrive-t-il à tout le monde ?
Le coup d’état chilien orchestré par Pinochet a fait l’objet de plusieurs études historiques en Amérique. Il est aujourd’hui attesté, par des documents officiels, que la CIA aurait prêté main forte au coup d’état afin de contrer la montée communiste que représentait Salvador Allende, récemment élu à la présidence du Chili.
Comme souvent avec les bons films historiques, Costa-Gavras nous conte l’histoire dans l’Histoire. Celle de Charles Horman dénonce bien des choses demeurées cachées aux yeux du monde durant toute la dictature Pinochet.
On découvre un Chili au bord de l’explosion, sous le regard curieux d’un homme faussement nonchalant, qui ne rate jamais l’occasion de poser des questions. À force de rencontres malchanceuses, Charlie Horman attire l’attention des mauvaises personnes. Mais plutôt que de dévoiler les événements directs qui le mènent dans la gueule du loup, Costa Gavras nous présente les heures d’errance de Beth. Alors qu’ils doivent se retrouver après avoir mis de l’ordre dans leurs affaires, dit adieu à leurs amis, Beth rate son bus. L’heure du couvre-feu approche mais elle est encore loin de chez elle. La nuit tombée la situe en pleine ville, alors que toute personne aperçue dans les rues est une cible à abattre pour les militaires.
Le contraste entre l’inconscience ou la complaisance de certains notables, chiliens et étrangers, et la mort qui hante la ville est saisissant. Si Beth parvient à se cacher, ce n’est que pour mieux retrouver sa maison saccagée et son mari disparu.
Quand Ed Horman arrive à Santiago, le Chili libre est tombé. Les militaires font régner un ordre de terreur mais un calme relatif est revenu. Pourtant, tandis que Ed et Beth se démènent pour comprendre, chercher et solliciter l’appui de personnes influentes, le massacre continu derrière les murs.
Au fil des images, on découvre les réfugiés chiliens dans les ambassades italiennes et françaises, une morgue improvisée pleine à craquer et des centaines d’otages dans un stade de triste réputation. Beth cherche Charlie mais aussi deux de ses amis, des militants américains qui défendaient l’humanisme avec leur plume. Missing – Porté disparu de Costa Gavras s’attarde sur d’autres destinées malheureuses que celle de Charles Horman. À la faveur de révélations, le spectateur découvre les rafles, les assassinats systématiques dans les sous-sols du stade de Santiago. Et l’amoncellement des corps ne donne pas toute l’ampleur du massacre : certains sont charriés par le fleuve Maipo, sans doute abandonnés en pleine nature, loin des regards.
Missing – porté disparu : les secrets d’une complicité coupable
Je ne veux rien d’autre que mon enfant ! […] Quel est votre rôle ici ? À part soutenir un régime qui massacre des milliers d’êtres humains ?
Lorsque le film commence, on découvre Charles Horman en relation avec des Américains proches des institutions. Alors que les mystères se dévoilent, il est évident que le jeune homme a croisé le chemin d’agents peu discrets envoyés par le gouvernement US pour aider au coup d’état. Est-ce là le secret de sa disparition ? En savait-il trop ? Ou a-t-il simplement eu moins de chance de sa femme au cours de cette nuit de cauchemar ?
Les investigations maladroites de Ed et Beth Horman les conduisent à entendre le témoignage de journalistes qui en savent long et déduisent, justement, une implication autre qu’une simple bavure locale. Entre corps mutilés et prisonniers retenus dans l’estadio naccional de Santiago devenu lieu de torture et d’exécutions sommaires, ces simples héros qui se déchirent quant à la compréhension des événements prennent la réalité en pleine figure.
Si vous étiez resté à votre place en observant un certain nombre de principes tout cela ne serait jamais arrivé !
Et quels principes? Dieu la patrie et Wall Street ? […] On n’est pas des guignols ! On est simplement tous les deux, comme beaucoup de gens, un peu déboussolés qui essaient de ne pas perdre contact avec cette réalité de merde.
Ed Horman est un homme d’une autre génération, il critique la jeunesse qui refuse trop volontiers le confort pourtant acquis par le labeur de sa génération au profit de ce qu’il voit comme des illusions puériles. C’est un homme qui fait confiance au système, à son pays. Mais, alors que la vérité s’impose, il est bien obligé de reconnaître qu’il méconnaissait le courage de son fils et que sa propre patrie l’a abandonné à son sort.
Pourquoi faut-il voir Missing – porté disparu de Costa-Gavras ?
Je vais vous poursuivre. […] C’est mon droit ! Je remercie Dieu d’être né dans un pays où l’on peut encore envoyer des gens comme vous en prison.
Ce film est gavé de qualités : un bon casting, une mise en scène journalistique qui ne sombre pas dans l’excès et réussi à nous plonger au cœur d’un événement d’importance. Le travail de Costa Gavras, qui a bénéficié des conseils des vrais Beth et Ed Horman sur le tournage, est aussi artistique qu’historique. Alors que l’horreur étend ses ailes noires sur Santiago, un cheval blanc traverse les avenues au galop sous le regard stupéfait de Beth ; un homme nu est emmené dans les entrailles du stade par un soldat : il sait ce qui l’attend ; une jeep remplie de militaires tirant en l’air poursuit un jeune homme égaré qui ordonne à Beth de se cacher ; un cadavre flotte et passe devant l’hôpital au cri de « un autre, un autre ! » ; l’amoncellement de corps sans vie paraît infini dans la morgue visitée par Beth et Ed, étage après étage, la lumière révèle, par transparence, d’autres morts, encore et encore…
Le coup d’état chilien et la dictature qui s’en est suivi est une page sombre peu connue en France. Missing – porté disparu de Costa Gavras ouvre une fenêtre sur cette tragédie. Le film ne montre pas tout, notamment l’incendie du palais présidentiel qui causa la mort de Salvador Allende, lequel refusait d’abdiquer. Il expose en revanche les arrestations arbitraires, les tueries en ville, les exécutions en masse, la répression, l’atmosphère de constante surveillance à chaque coin de rue, la peur des habitants, le rôle des ambassadeurs étrangers qui tentèrent d’offrir l’asile à toute personne parvenant jusqu’à eux, l’implication américaine dans la mise en place du nouveau régime. Toute la mécanique d’une dictature qui s’installe est palpable dans ce film.
Missing – porté disparu de Costa Gavras conte le drame d’un pays qui sombre dans la nuit en quelques heures à travers le sort d’un petit groupe de personnages. Il n’y a pas de meilleure façon de présenter les pans de l’Histoire : c’est avec l’empathie que le spectateur éprouve pour la tragédie d’un individu qu’il peut percevoir le malheur du plus grand nombre. Unique pour son thème, marqué du style Costa Gavras, ce film montre aussi le début d’un combat, celui de Ed Horman pour la mémoire de son fils.
Missing – porté disparu de Costa Gavras, 1982
Inspiré du roman éponyme de Thomas Hauser d’après l’histoire vraie du journaliste Charles Horman
Avec : Jack Lemon, Sissy Spacek, John Shea, Mélanie Mayron, Charles Cioffi
Aller plus loin :
- Sites internet très documentés comme ceux cités ci-après
- Les évadés de Santiago de Anne Proenza & Teo Saavedra, éd. Seuil, 2010
- Nous avons mal au Chili de Roland Husson, éd. Syllepse, 2003
- La folie Pinochet de Luis Sepulvéda, éd. Métailié, 2003
Sources :
- Horman Truth – site dédié à la vérité sur la disparition de Charles Horman
- Clionautes.org et son excellent article sur le stade de Santiago, lieu de souffrance et de mort pendant la dictature