les dents de la mer racontent l'USS Indianapolis
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Quand Les Dents de la Mer content la tragédie de l’USS Indianapolis

C’est une séquence intrigante alors que les trois chasseurs improvisés du grand requin blanc grignoteur prennent une pause bien méritée. Quint, pêcheur de squales, raconte son histoire, celle d’un marin à bord de l’USS Indianapolis en 1945. Coulé fin juillet, le destroyer reste à ce jour le tombeau de 300 hommes et le symbole d’un supplice qui nourrit encore la peur des requins. Si Steven Spielberg a pris quelques libertés avec la vérité historique qu’Histoire Sympa est heureuse de nous relater ici, Les Dents de la mer ont le mérite d’éveiller l’intérêt du spectateur… À bord, matelot !

Naufrage de l’USS Indianapolis : une version déformée servie par Les dents de la mer

La nuit est tombée sur le vieux rafiot de Quint, chasseur de requins embauché en désespoir de cause par le shérif d’Amity pour mettre un terme à la boulimie d’un grand spécimen aux dents pointues. Le shérif Brody et l’océanographe Hooper écoutent le vieux marin leur conter ce qu’il advint du tristement célèbre USS Indianapolis.

Quint raconte l'USS Indianapolis dans Les Dents de la mer
Quint, le survivant de l’USS Indianapolis dans Les Dents de la mer

« On rentrait d’une mission dans l’île de Tinian, on avait livré une bombe, celle d’Hiroshima, la bombe. 1 100 marins à la baille. Le navire a coulé en 12 minutes. On est resté sans voir un requin pendant près d’une heure. Tout à coup, un 4 mètres. […] Le coup de la bombe avait tellement été gardé secret qu’aucun signal de détresse était parti. On est restés 8 jours sans être portés manquants. Aux premières lueurs de l’aube, les requins commencent à rôder alors on a formé des genres de groupes compactes. […] on entend des cris terribles qui vous percent les tympans et l’océan est tout rouge et malgré qu’on se débattent qu’on gueule et qu’on hurle, ça grouille de partout et ça vous met en pièces. À l’aube de ce premier jour, 100 hommes étaient morts. Y avait j’sais pas combien de requins, peut-être un millier, mais il en partait 6 à l’heure. […] Le cinquième jour à midi, un Lokheed Ventura nous a survolé à basse altitude et nous a vus. […] on a attendu encore 3 heures et puis y a un hydravion qui s’est pointé qui nous a pris à son bord. […] c’est à ce moment-là que j’ai eu le plus les fois, en attendant mon tour. De ma vie jamais plus je ne mettrais un gilet de sauvetage. [… ] Enfin, on avait livré la bombe… »

Les Dents de la mer, Steven Spielberg 1975.

Passage fascinant, porté par une atmosphère choisie, ce monologue fait la lumière sur le caractère franchement peu avenant du bonhomme. Il n’en demeure pas moins gavé d’inexactitude et de quelques petits arrangements avec l’Histoire

Les Dents de la mer extrait

La vérité vraie sur le naufrage le plus meurtrier de l’Histoire de la Navy américaine

Si l’exacte vérité est sans conteste l’unique héritage des rares rescapés d’une catastrophe, il est toujours dommage de lire, entendre certaines distorsions destinées à accentuer un drame qui se suffit pourtant à lui-même.

Comme Histoire Sympa tient à vous distraire, mais aussi à assurer un minimum de respect au fait historique, et grand fan des Dents de la mer oblige, j’ai tenu à rectifier quelques éléments et, qui sait, à vous intéresser de plus près à la guerre du Pacifique.

Après avoir longuement parlé du Débarquement de Normandie, plongeons-nous un petit peu dans un épisode qui peut paraître anecdotique au regard du grand nombre de morts que totalise le conflit opposant États-Unis et Japon, mais dont l’étrange accent de fatalité nous ferait croire au karma.
Car l’USS Indianapolis n’était pas un bateau de guerre comme les autres. Au soir de sa disparition dans les eaux sombres de la mer des Philippines, il était déjà entré dans l’Histoire.

Mais personne ne le savait encore….pas même son équipage.

USS Indianapolis : son équipage avant le drame
Équipage de l’USS Indianapolis

L’USS Indianapolis, un croiseur pas comme les autres

Conçu dans les années 1930, alors que les tensions entre les USA et le Japon ne cessent de croître dans le Pacifique, l’USS Indianapolis est un croiseur lourd de classe Portland.
Avant même d’être engagé dans la guerre du Pacifique, il est envoyé à Pearl Harbor, sa base dès 1937. Il est épargné par l’attaque du 7 décembre 1941, car il est alors sur l’île Johnston, à 1 504 km au sud-ouest d’Hawaï, en plein débarquement de soldats. Averti rapidement, il est délesté de tout ce qui peut le ralentir et fait route à pleins moteurs pour retourner sur place rejoindre une force destinée à traquer les porte-avions ennemis. Sans succès.
La guerre du Pacifique commence réellement pour l’USS Indianapolis. Il prend part à plusieurs opérations, sorte de jeu du chat et de la souris sur fond de guérilla nippone et de guerre des nerfs entre deux grandes puissances qui ne veulent rien céder à l’opposant :

  • Campagne des îles Aléoutiennes (1942-1943), notamment comme escorte de convois et protection des assauts amphibies sur les îles de l’archipel
  • Campagne des îles Gilbert et Marshall
  • Campagne des îles Mariannes et de Palos
  • Bataille de la mer des Philippines (1944)
  • Bataille d’Okinawa (1945)

En juillet 1945, l’USS Indianapolis est de retour au bercail. Il subit des réparations au large de San Francisco quand un ordre, aussi précipité que mystérieux, tombe : il doit immédiatement faire route vers l’île de Tinian après avoir embarqué une étrange cargaison estampillée « top secret ».

Le croiseur quitte San Francisco le 16 juillet 1945, sans escorte pour plus de discrétion, et prend part à l’un des événements les plus décisifs et meurtriers de la Seconde Guerre mondiale.

L’USS Indianapolis en route vers son destin, juillet 1945

C’est encore une course de vitesse pour le croiseur de la Marine américaine. Parti le 16, il rallie Pearl Harbor le 19 juillet, soit un record de 4 454 km en 74 h. Toujours privé d’une escorte qui éveillerait les soupçons de l’ennemi, il poursuit ensuite sa route vers l’île de Tinian qu’il rejoint le 26 juillet, soit près de 10 000 km en 10 jours.
Sur place, il est déchargé de son fardeau secret et fait cap vers l’île de Guam. Les marins profitent ainsi d’une petite permission bien méritée tandis que de jeunes recrues sont embarquées pour l’île de Leyte où les attend un entraînement et leur futur navire, l’USS Idaho.

USS Indianapolis
Silhouette de l’USS Indianapolis

Le 28 juillet, c’est la dernière fois que l’on voit l’USS Indianapolis. Une fois encore, son départ de Guam reste dépourvu d’une quelconque escorte en dépit des demandes répétées du capitaine Charles B. McVay et des risques connus de toute la Marine US… D’après ce que l’on sait, il ne peut alors se joindre à aucun convoi, car ils ne suivent pas la même route, les autres destroyers sont tous au front, loin de là, et aucune information récente concernant la présence, pourtant avérée, de navires ennemis n’est communiquée au capitaine.
Danger supplémentaire : l’USS Indianapolis n’est pas équipé d’un sonar lui permettant de détecter les sous-marins japonais qui pourraient l’approcher.

Dans la nuit du 29 au 30 juillet, vers minuit, le navire sillonne la mer des Philippines quand il est torpillé par un sous-marin de la Marine impériale japonaise. Deux torpilles atteignent la proue, la soute à combustible et celle contenant les munitions.
Le capitaine McVay n’a que le temps d’ordonner aux hommes de sauter à la mer et de faire envoyer des signaux de détresse avant que l’USS Indianapolis ne soit englouti par les flots. Le croiseur coule en 12 minutes, entraînant avec lui 300 de ses 1 197 marins.
900 hommes sont jetés à l’eau par les affres de la guerre et leur calvaire ne fait que commencer.

Extrait du film USS Indianapolis, men of courage sorti en 2016
Extrait du film USS Indianapolis, men of courage sorti en 2016

Les marins de l’USS Indianapolis face à la frénésie des requins

Les SOS envoyés dans la précipitation ne sont pas suivis d’effet. Il sera établi par la suite que de surprenantes réactions ont condamné l’équipage du croiseur :

  • un des SOS transmis par marin de la station de Tacloban (sur l’île de Leyte) à son supérieur ainsi réveillé en pleine nuit se fait envoyer paître avec l’ordre de ne revenir que si d’autres messages lui parviennent ;
  • le même message capté à la base de Tolosa (île de Leyte également) pousse un officier à dépêcher deux remorqueurs en direction des coordonnées reçues, mais, envoyés sans l’accord du commandant de la base, ceux-ci sont rapidement rappelés sans que ce dernier cherche à comprendre l’origine de cette manœuvre ;
  • les soupçons de faux messages en provenance des Japonais poussent trop de gradés US basés dans le Pacifique à ignorer tout bonnement les quelques SOS envoyés par l’USS Indianapolis.

Du fait de sa mission secrète initiale, aucun navire ne vient chercher les rescapés puisque personne ne semble informé de la présence du croiseur en mer des Philippines. De même, personne ne s’intéresse au retard de l’USS Indianapolis, car le message faisant état de son trajet n’est pas correctement décrypté ni transmis.

Pour les marins qui barbotent avec l’espoir vain d’être secourus et leurs seuls gilets de sauvetage pour soutien, la terre la plus proche est à 450 km. De plus, certains d’entre eux n’ont pas évacué l’USS Indianapolis sans dommage et leur sang attire des requins longimanes. Ces grands spécimens habitués des eaux tropicales sont aujourd’hui connus pour présenter des cas de frénésie alimentaire.

Marins naufragés de l'USS Indianapolis, film 2016

Ce phénomène est parfois artificiellement déclenché lorsque l’on alimente les requins en quantité dans une même zone pour les y attirer et les y garder. Ces carnivores perdent alors toute inhibition envers l’humain, aiguillonnés par le seul stimulus alimentaire. On ne parle plus alors d’attaque, mais de réflexe, d’excitation de groupe, inédite pour un animal habitué à se déplacer et à chasser en solitaire. En pleine frénésie, ils peuvent s’attaquer et se mordre entre eux, se disputer la nourriture sur place.

Les requins arrivent de plus en plus nombreux dans la zone du naufrage. Ils mangent les corps des morts de noyade, de blessures ou d’épuisement, avant de s’en prendre aux vivants. D’autres causes de décès surviennent : déshydratation, insolation, hypothermie, soif, fatigue, dénutrition, délires avec attaque sur les autres survivants.

Les faits à l’épreuve de la version cinéma : l’USS Indianapolis et Les Dents de la mer

C’est ici que les versions divergent. Car c’est bien au bout de 4 déjà bien longs jours de supplice (et non 5) que les survivants sont repérés par un Lockheed Ventura en patrouille de routine. Le pilote envoie immédiatement l’information. Un hydravion est envoyé sur place tandis qu’un capitaine de destroyer déroute son navire sans attendre d’autorisation.

Dans l’attente de son arrivée, les passagers de l’hydravion font de leur mieux pour assister les naufragés, leur lançant radeaux gonflables et provisions. Voyant la menace des requins, le commandant amerrit malgré les risques pour embarquer autant d’hommes que possible, essentiellement ceux qui sont isolés des groupes formés par leurs camarades pour se protéger. Il remplit ainsi son avion au maximum, attachant même des marins aux ailes lorsque la place vient à manquer. 56 hommes sont provisoirement mis à l’abri.

Extrait 2 du film USS Indianapolis men of courage 2016
Extrait du film USS Indianapolis, men of courage, 2016


Mais, contrairement au scénario des Dents de la mer, c’est bien un destroyer qui aide à mettre le reste des naufragés en sécurité. Lorsqu’il parvient sur zone, le capitaine ordonne d’allumer son projecteur principal, au risque d’être repéré par les bateaux japonais, afin de guider les autres navires de secours. Les opérations de recherches aériennes et marines permettent de sauver 321 marins dont 4 succombent à leurs blessures. Au total, on dénombre 317 survivants repêchés sur 900.

Mais ce drame humain n’a pas fini de faire des victimes.

L’USS Indianapolis, Hiroshima et Nagasaki

« Je suis devenu la mort, le destructeur des mondes »

Julius Robert Oppenheimer traditionnellement cité comme le père de la bombe atomique (il ne fut pas seul à la tâche), inspiré ici du texte sacré hindou la Bhagavad-Gita.

Autre digression historique de film, ce n’est pas « la bombe » qui fut livrée par l’USS Indianapolis, mais les deux bombes nucléaires prévues pour imposer une reddition sans condition au Japon.

On peut appeler ça le karma, la destinée, le retour de bâton, on peut aussi ne pas être superstitieux, les coïncidences se teintent parfois du voile de la fatalité. Sans le savoir, l’équipage de l’USS Indianapolis a pris part à ce qui est parfois qualifié de crime contre l’humanité par les USA.
Dans ses soutes, la mystérieuse cargaison impliquait le croiseur dans le projet Manhattan. Lancé en 1942, il a abouti à la conception des deux bombes atomiques larguées sur Hiroshima et Nagasaki. À son bord, l’USS Indianapolis transportait des caisses contenant les éléments de Little Boy, bombe à l’uranium, et de Fat Man, bombe au plutonium. Assemblées sur l’île de Tinian, les deux sinistres engins sont fins prêts pour frapper. Au matin du 6 août 1945, la première bombe nucléaire à destination du Japon prend son envol à bord du bombardier B-29 Enola Gay.

Capitaine McVay

Rescapé du naufrage, le capitaine McVay passe en cour martiale pour mise en danger de son bâtiment et échec à donner l’ordre d’abandonner le navire dans un temps approprié sans qu’il soit fait mention du manquement évident de réponse à ses appels de détresse ni du temps mit par les autorités maritimes pour rendre compte de la disparition du navire. Condamné et portant seul la responsabilité de la tragédie, il se suicide en 1968. Les survivants solidaires de leur capitaine et indignés lancent une campagne de réhabilitation avec succès. Le capitaine McVay sera lavé de tout soupçonne en 2000 par le Congrès des États-Unis.

C’est en 2017 que l’épave du croiseur est retrouvée et explorée par les équipes du milliardaire Paul Allen.

images de l'épave de l'USS Indianapolis
Épave de l’USS Indianapolis retrouvée en 2017

Tragédie parmi d’autres, le naufrage de l’USS Indianapolis porte le sceau de la destinée. Convoyeur des pièces détachées des deux engins de mort les plus terrifiants que l’Humain ait pu fabriquer, sa destruction reste marquée d’une étrange impression. Conté au grand public à travers Les Dents de la mer, le naufrage de l’USS Indianapolis fascine et interroge encore aujourd’hui. Il y a toujours un soupçon d’Histoire dans le plus distrayant des films. Pourquoi donc ? Mais on ne cesse de vous le dire : l’Histoire est partout 😉 !

À voir :

  • Les Dents de la mer de Steven Spielberg, 1975
  • USS Indianapolis Men of Courage de Robert Ebert, 2016

Aller plus loin :

Sources :

  • Wikipédia
  • Les dents de la mer, le film
  • Daily Mail
  • National Geographic
  • Archives du site Le Lignard
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