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Livres sur l'Histoire

Magic Time entre polar et lutte pour les droits civiques

Les années 1960 marquent les États-Unis de bien des façons. La guerre du Vietnam, l’assassinat d’un président, les démêlées avec le régime cubain, une guerre froide ronflante…et la lutte pour les droits civiques. Face à l’injustice et à la violence gratuites, des voix se sont élevées, des gens ont osé manifester sous les coups pour réclamer ce qui devrait aller de soi dans toute démocratie. En France, on ignore beaucoup des faits tragiques qui ont jalonné ce combat. Dans Magic Time, polar sur fond de lutte pour les droits civiques, passé et présent se confrontent. À travers les souvenirs d’un homme, on mène l’enquête au plus près des événements de 1965, Mississippi.

Un procès pour l’histoire

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1965, ville de Troy, Mississippi.

Carter Ransom rentre chez lui après une année de plus à l’université. Il est bien décidé à avouer à son père qu’il ne sera pas son digne successeur : il veut arrêter ses études de droit. Le juge sera déçu mais Carter veut autre chose que marcher sur ses traces. L’été qui s’annonce lui inspire une réponse. Entre ses retrouvailles avec Elijah, son ami d’enfance, la rencontre d’un groupe de militants pour les droits civiques, la naissance d’un amour fou et les manifestations qui secouent le pays, Carter se rêve journaliste. Il veut aider Elijah à défendre ses droits. Ce jeune homme noir avec lequel il a grandi, qui est son frère de cœur et l’éveille à une réalité qu’il n’avait fait qu’entrevoir, lui donne la force de s’opposer à son père. Mais dans la moiteur locale, les fièvres se déchaînent. Les heurts aussi. Un attentat, des morts, un demi-procès présidé par son père : en quelques heures, Carter perd tout.

1990, New York.

Carter a dépassé les 45 ans, travaille comme tout journaliste qui a réussi. Il écrit pour un quotidien de New York et ses chroniques lui ont apporté une belle notoriété. Carter vit presque en couple avec une mère divorcée et ne regrette pas son Mississippi natal. Jusqu’à une soirée littéraire et l’insistance d’un confrère. L’imminence d’un procès qui doit faire date se profile. À Troy, un homme est rattrapé par son passé. L’un des condamnés pour l’attaque qui coûta la vie à des militants pour les droits civiques en 1965 l’accuse d’avoir été le donneur d’ordre. Il dénonce enfin ce membre haut placé du Ku Klux Klan local. Voilà qui chamboule de nouveau la vie de Carter. Parmi les victimes, sa propre fiancée, la femme qu’il n’a jamais oubliée en dépit de ses efforts, revient le hanter. Sa compagne lui reproche de ne lui en avoir jamais rien dit et le rejette. Au pied du mur de ses souvenirs, Carter retourne chez lui, affronter un chagrin et une colère qui ne l’ont jamais quitté, entendre la vérité et peut-être comprendre toute l’étendue du complot qui ensanglanta ses 20 ans.

Fiction et réalisme dans Magic Time entre polar et lutte pour les droits civiques

Doug Marlette s’inspire de sa propre expérience, d’événements réels et enveloppe le tout dans un récit policier très réussi. Entre passé et présent, le lecteur se promène sans mal, sans perdre le fil et savoure un suspense grandissant. D’entrée de jeu, on sait quelle est la nature du drame qui va se jouer dans le passé. Mais on ignore à quel point elle va rebondir sur le présent. Les vies autrefois bouleversées, gâchées, tordues, sont de nouveau malmenées et disséquées. Pour le meilleur ou le pire ? Le lecteur jugera.


Comme son héros, Doug Marlette est né dans les années 1940, dans un état du Sud. Il a fait carrière comme dessinateur de presse et a même reçu le prix Pulitzer pour ses dessins. Magic Time est son premier roman. Il n’en a malheureusement pas écrit beaucoup d’autres car il est décédé en 2007 dans un accident de voiture.
Associés à ce zest autobiographique qui dépeint l’environnement et la ville de Troy, entre nature sauvage, ferveur locale, autochtones plus ou moins sympathiques, des faits passés mais réels insistent sur le contexte historique.
En filigrane, l’auteur souligne l’engagement du petit groupe de militants et de leur chef, Elijah, avec des événements qui ont marqué le Freedom Summer.

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Le Mississippi, carde idyllique pour Magic Time, entre polar et lutte pour les droits civiques en 1965


En effet, durant les années 1960, une fronde sourde secoue l’ordre des choses voulu par les autorités majoritairement blanches du Sud des USA. La fin de la Seconde guerre mondiale, l’élection de John Fitzgerald Kennedy ont rappelé aux états du sud que les Noirs américains avaient officiellement le droit de voter depuis 1870. Mais la ségrégation raciale, que ni la guerre de Sécession ni la Reconstruction qui a suivi n’ont aboli, demeure un fait, une base sociale haineuse, honteuse et entêtante. Encouragés par un éveil des consciences, de certains magistrats, de citoyens noirs tels que Rosa Parks, Martin Luther King ou les étudiants noirs de Little Rock, des voix s’élèvent et des mouvements se créent. Leur but est de défendre les citoyens noirs américains dans l’ensemble des États-Unis et plus encore dans le Sud.

L’actualité du Freedom Summer dans Magic Time

Sans faire un cours d’histoire, Doug Marlette ancre son récit dans le brûlant été 1965. Les militants imaginés par l’auteur appartiennent à un large mouvement associatif qui vise alors à envoyer des personnes politiquement formées auprès des populations noires afin qu’elles prennent conscience de leurs droits et les revendique. Outre les leaders charismatiques tels que Martin Luther King, une large part de ces militants est alors faite d’étudiants, souvent blancs, venus des états du Nord. Ils informent les gens, les encouragent à réclamer leur inscription sur les listes électorales. Mais cette action simple et désintéressée menace directement le système ségrégationniste en place : les Noirs ne risquent pas de voter pour leurs anciens oppresseurs, blancs de surcroît ! Nombre de politiques, de shérifs, de procureurs, de maires, voient dans ce vote des Noirs un danger à éviter à tout prix.

Ainsi donc, et comme les personnages fictifs de Magic Time, des militants sont victimes d’intimidations, de coups, d’emprisonnement quasi arbitraire, le tout destiné à les effrayer pour les décourager de s’attarder dans le Sud. Quand certains sont sortis des marches et autres manifestations sans plus que quelques blessures, d’autres sont morts. Parmi les faits qui ont le plus défrayé les chroniques de l’époque, l’assassinat de trois militants apparaît, fantomatique, dans Magic Time. James Chaney, Andrew Goodman et Michaël Schwerner sont tués en juin 1964 par des membres du Ku Klux Klan. Portés disparus, une enquête féroce menée par le FBI permet de retrouver finalement leurs corps et d’inculper leurs assassins l’année suivante. Avec un résultat mitigé. Leur mort ainsi que les actions menées conjointement par toutes les associations, médiatisées par la figure de Martin Luther King et des marches comme celle de Selma, poussent finalement le président Lyndon Johnson à promulguer le Civil Right Act. Officiellement, toute discrimination en raison de la couleur, de la race, de la religion ou des origines devient hors-la-loi.

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Le président Lyndon Johnson signant le Civil Right Act

Un dénouement qui interroge : combien d’années pour rendre justice ?

Recette équilibrée, Magic Time entre polar et lutte pour les droits civiques, impose la douloureuse question du justiciable dans le temps. Cette idée est souvent associée aux criminels de guerre mais elle trouve aussi sa place face aux acteurs d’une terreur méconnue. Les actifs du Ku Klux Klan furent peu inquiétés. Masqués lors de leurs actions, protégés et parfois intégrés aux autorités, au système politique et judiciaire, celles et ceux qui ont, autrefois, brûlé des maisons, incendié des églises, battu et tué des citoyens Noirs et leurs sympathisants vivent encore paisiblement à l’abri de l’anonymat.

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Doug Marlette rappelle qu’il suffit d’un mécontent, d’un jaloux, d’un rancunier pour que n’importe lequel de ces gens soit enfin inquiété. Et que l’âge ou la maladie ne les exemptent pas de payer un jour pour leurs crimes. Dans Magic Time, toute une ville doit faire face à son passé, à ses petits arrangements avec la morale, à ses mensonges et dissimulations. Carter Ransom lui-même ne peut qu’apprendre une rude réalité, celle de liens bien secrets et douloureux entre son propre père et un des leaders locaux du Klan.

Lire Magic Time, c’est plonger dans le passé d’une petite bourgade sans prétention, au cœur du Sud, entre tradition et légitime avancée sociale. Les ombres du passé reviennent confronter des meurtriers mais aussi la fameuse majorité silencieuse, sans doute aussi coupable que les autres, pour n’avoir pas voulu changer avec son temps, accepter l’évidente nécessité d’un renouveau. La punition fut longue à venir.

À lire :


Magic Time de Doug Marlette, éd. Le Cherche Midi, collec. 10|18, 2006.

Aller plus loin :

Lire encore :

  • Les secrets du Ku Klux Klan, l’Amérique sous le feu des suprémacistes blancs, Raphaël Coune, éd. 50Minutes, collec. Sociétés secrètes, 2015 ;
  • Little Rock 1957, Thomas Snégaroff, éd. Le Cherche Midi, collec. 10|18, 2019.

Voir :

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