Das Boot la guerre par Wolfgang Petersen
Rares sont les réalisations à cristalliser la réalité avec brio, plus encore lorsqu’il s’agit de films de guerre. Mais certains chefs d’œuvre passent inaperçus le temps d’une décennie pour ne briller qu’à travers le prisme d’un autre éveil à l’Histoire. Das Boot présente la Seconde guerre mondiale vue par Wolfgang Petersen. Entre tragédie ordinaire et destinée humaine ballotée par les temps troubles qui mêlent toutes les souffrances, ce film fleuve est un must have du genre à voir absolument.
Les mémoires de Lothar-Günther Bucheim sur écran
« […] L’implacable réalité, loin du regard maternel qui sécurise et protège, loin de la femme que la vie nous donne, une fois se retrouver devant la vérité cruelle et sans mesure… Je ne vivais que pour ces belles paroles. »
Avant de devenir Das Boot, la guerre vue par Wolfgang Petersen, Le Bateau est un roman écrit par Lothar-Günther Bucheim paru en France sous un titre évocateur : Le Styx. Ce reporter de guerre y raconte sa propre expérience à bord du U-96, un U-boot allemand basé à Saint Nazaire en 1941.
Une mission à haut risque
L’appareillage très prochain d’une partie de la flotte sous-marinière allemande apporte une certaine liesse dans la ville envahie par les soldats occupants. Un air de fête peut même s’entendre dans certains clubs. Les marins profitent encore un peu des plaisirs de la terre ferme. Pourtant, une petite minorité de gradés, capitaines et premiers officiers, affiche des sourires forcés. Ils savent que la campagne promet d’être longue et périlleuse.
Certes, les U-boot sont des armes puissantes au service de l’Allemagne en guerre. Mais les Anglais ont mis au point une parade pour transformer la Manche et l’Atlantique en champs de bataille féroce. Contre les sous-marins qui visent les bateaux de ravitaillement à destination de l’Angleterre sont déployés des destroyers. Armés de bombes et de détecteurs sonars, ils forment des convois protecteurs autour des ravitailleurs. La chasse sera donc plus risquée.
Les équipages, 50 hommes en moyenne par sous-marin, sont constitués de très jeunes hommes, à peine sortis de l’enfance. Pour eux, comme pour le lieutenant reporter de guerre Werner, ce sera une première plongée dans le gouffre marin, à bord d’un vaisseau dont la principale fonction est de les confiner sous la surface vitale.
Au fil des jours, le lieutenant Werner découvre la vie de ces hommes, obligés de partager une promiscuité parfois inhumaine tant l’espace est réduit au strict minimum et encombré au maximum de vivres et de matériel. Mais l’aventure qu’il s’imaginait va se teindre de cauchemars qui le hanteront longtemps. Si le capitaine suit à la lettre ses ordres, attaque et coule des navires ennemis, les conséquences sont insupportables. Entre attente interminable, liesse de victoires éphémères et bombardements sous-marins sans répit menés par les destroyers Anglais, le U-Boot menace nombre de fois de faire sombrer son équipage dans les abîmes de l’Enfer…
Das Boot : la Seconde guerre mondiale vue par Wolfgang Petersen
Le film de guerre dans toute sa perfection. Le premier que j’ai vu, à l’âge de 7 ans. Littéralement clouée à la petite télévision noir et blanc de mes parents, je ne pouvais me résoudre à aller me coucher. Sans comprendre toute la portée de ce récit filmé, je me souviens avoir obtenu l’exceptionnelle permission de veiller pour ne rien manquer.
Car il fallait l’oser et Wolfgang Petersen l’a fait. En 1981, alors que le mur de Berlin était encore debout, ce réalisateur de génie a su mobiliser suffisamment de capitaux (14 000 000 dollars) pour mener à bien un projet titanesque et risqué : conter en images le roman de Lothar-Günther Bucheim.
À l’origine, la mission du jeune reporter était de réaliser un sujet de propagande destiné à promouvoir la supériorité des forces Allemandes sur le terrain maritime. Mais au fil des mois, il a nourri une vision plus réaliste des choses, témoin d’une guerre qui usait les hommes plus vite que les années.
Le projet de Petersen, qui a adapté le roman en scénario, était non seulement de tourner un film qui sortirait sur grand écran mais également une série pour la télévision allemande. La première version sortie au cinéma faisait à peine deux heures. La version suivante est de 3h 30 pour la télévision. Finalement, la réédition sur support DVD et Blu-Ray compte 5h 30. Le montage final (sorti en double DVD donc) réuni un maximum de plans ainsi que le souhaitait Petersen lors du tournage, chose qui n’avait pas été possible dans un premier temps. À l’époque, on ne voyait que très peu de films dépassant 2h en salles. De plus, le manque de moyens techniques ne permettait pas de rendre la qualité optimale de l’ensemble des images. Pour autant, dès la première version, on est saisi par la tension dramatique de ce film.
Tourné en Allemand, avec des comédiens allemands, à bord d’un véritable U-Boot restauré qui fit des sorties en haute mer pour mettre les acteurs « en condition », Das Boot est un film très fort. On découvre la vie à bord, les tensions entre les hommes, qu’elles soient dues à la promiscuité, la guerre, la politique, la mission, la peur voir la terreur de certaines situations.
Il est exceptionnel de découvrir la Seconde guerre mondiale par les yeux des Allemands. En dehors de rares et récents films axés sur les derniers jours d’Hitler (La Chute) et de bons documentaires (Apocalypse), le grand public ne s’attarde par sur la mémoire des vaincus. Il est trop facile de considérer tous les soldats allemands avec le regard manichéen des pays occupés et des peuples opprimés. Das Boot est le premier film à réussir l’exploit de montrer les ravages que cette guerre a apporté aux allemands engagés de gré ou de force dans l’armée. Les visages de ces hommes si jeunes à leur départ du port qui ressemblent à des vieillards après seulement quelques semaines en mer nous frappent au cœur.
Le bateau : un enfer sous la mer plus vrai que nature
- « Je sais que c’est pas joli mais il le fallait.
- _ Pourquoi ?
- _ Parce qu’un bateau comme le nôtre suffit à peine aux besoins des 50 gars de l’équipage. […] Nous avons pour mission de couler tous les navires que nous rencontrons. Pour le reste, c’est à ceux qui ont voulu cette guerre qu’il faut le demander ! »
On sait que Lothar-Günther Buchheim a repris ce qu’il avait vécu en le dramatisant afin de dénoncer plus encore ce dont il avait été témoin. Néanmoins, la fiction y gagne en netteté comme en qualité interprétative. Pour respecter son témoignage, Petersen n’y a rien changé. Il a simplement pris quelques libertés :
- situer la base d’attache du U-96 à La Rochelle au lieu de Saint Nazaire car le décor nécessaire à son film existait encore au naturel (le site est toujours visible à La Rochelle) ;
- insérer des avions anglais qui n’étaient pas encore en mesure de s’éloigner autant de l’Angleterre pour ce genre d’attaque…
Mais l’usage d’un vrai U-Boot restauré, de maquettes et l’importance accordée aux détails, font de ce film un travail remarquable.
L’intérêt principal de la version longue de 5h se retrouve dans le contraste des semaines de calme pesant avec des heures de bataille angoissantes. Dans sa mission de chasser les navires alliés, l’équipage du Das Boot se heurte :
- à l’incohérence des ordres de l’amirauté ;
- à l’interdiction formelle de secourir l’ennemi ;
- au stress épouvantable résultant des répliques ennemies (le bombardement incessant par un destroyer des heures durant, jusqu’à l’évanouissement pour Werner et un accès de folie pour Johann, le chef mécanicien) ;
- au confinement et à l’insalubrité qui vont avec ;
- au danger le plus évident lorsque navire doit, par ordre, traverser le détroit de Gibraltar pour entrer en Méditerranée, lieu infesté de surveillance ennemie ;
- au risque maintes fois encouru de couler corps et bien.
La musique composée par Klaus Doldinger élève encore le niveau émotionnel du film. Elle fut immédiatement reconnue comme une grande composition. Le thème musical est celui du sous-marin lui-même. Lourd, pesant et puissant à la fois, il charrie sous ses notes le drame que vivent les protagonistes.
Dans cet enfer sous la mer servi par un jeu éblouissant de vérité de la part de chaque comédien. On découvre plus que du courage ou l’esprit du soldat obéissant. On est témoin d’une solidarité nécessaire qui s’exprime avec naturel face au spectre de la mort, d’un désir ardent du capitaine et de son second de sauver leurs hommes quoi qu’il advienne, de la dévotion disciplinée de ces soldats qui n’aspirent pas seulement à honorer leur patrie mais à rester en vie et revenir au pays victorieux, du déchirement de leur âme de marin et d’homme lorsqu’ils assistent, impuissants, à la noyade de soldats anglais abandonnés à leur sort après qu’ils aient frappé leur navire.
Toute la complexité et la dimension inhumaines de la guerre qui changent les hommes pour le reste de leur existence se ressent, se vit en regardant Das Boot, la guerre vue par Wolfgang Petersen. À tel point que le tournage d’une nouvelle série est lancé depuis 2018 pour Sky.
4 commentaires
Magali Cochez
Bonjour Clémentine,
L’histoire du film, telle que tu la raconte, donne envie de le visionner même si je ne suis pas une grande fan des films de guerre.
Le plus gros problème sera de le trouver s’il n’est pas sur une plateforme type Netflix ou Itunes.
Merci encore pour ton envie de faire partager un film qui t’a marqué.
Magali de par le temps qui court
Clémentine Fourau
Merci de ton avis Magali ! Das Boot me semble être sur la liste des films disponibles sur Netflix mais uniquement en VO…Cela dit, un film est tout en qualité quand on le regarde dans sa version initiale et ce même si j’ai du mal avec l’allemand ^^’
Carole Thiebault
Ah ben ça alors quel site ! Je découvre et je trouve l’idée géniale. Pour ce film il me dit quelque chose sans que j’arrive à me dire si je l’ai vu ou non. Je pense que je devais être petite. Bref je le mets sur ma liste de films pour soirée pas envie de lire !
Merci
Clémentine Fourau
Merci à toi Carole ^^ c’est toujours encourageant de lire que son travail plaît et interpelle.