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Films Historiques

Mississippi Burning : les meurtres du freedom summer comme si vous y étiez

Les pans obscurs de l’Histoire sont toujours plus faciles à appréhender par le prisme de la fiction. Les ravages engendrés par le Ku Klux Klan, organisation américaine honnie à la peau dure, sont ainsi sujets de plusieurs films. Parmi ceux-ci, Mississippi Burning est une œuvre cinématographique pionnière. Avec la mise en lumière d’un événement réel et marquant des années 1960, le film d’Alan Parker demeure unique. Balloté entre arrangements avec la réalité des faits et qualités frappantes, Mississippi Burning fictionnalise les actions du Ku Klux Klan pour le meilleur ou pour le pire.

« D’où vient-elle cette haine ? »

Alan Ward à Rupert Anderson – Mississppi Burning

À l’été 1964, la lutte pour les droits civiques a plusieurs visages. Parmi ceux-ci, des organisations comme le Comité de défense des droits civiques mobilisent leurs effectifs. Essentiellement composés d’étudiants venus des états du nord des USA, ils sillonnent le Sud, informent la population noire de ses droits, dont le premier d’entre eux, largement bafoué dans la région, le droit de vote. En effet, si les Noirs ne votent pas, rien ne changera en leur faveur…

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Mais cet été bouillant du Mississippi met aussi fin à la vie de trois de ces jeunes militants. En pleine nuit, James Chaney, Andrew Goodman et Michael Schwerner, de passage dans le comté de Jessup, sont pris en chasse par la police et abattus.

Officiellement portés disparus par leur Comité, ils sont l’objet d’une enquête menée par deux agents du FBI, Alan Ward et Rupert Anderson. Le premier, jeune, ambitieux et idéaliste, tient à respecter les règles du bureau tandis que son adjoint, un homme d’expérience et originaire du Mississippi sait qu’il leur faudra employer d’autres méthodes.

« Faut pas me mettre sur votre piédestal M. Ward !
_ Et il ne faut pas me mettre dans votre fosse à truands M. Anderson !
_ […] même si la fosse elle pue, il faut qu’on y plonge »

Entre querelles sur le « comment » et efforts communs pour établir le « pourquoi », le duo fait face à l’évident manque de coopération de la police locale. La pression augmente avec l’envoi de nouveaux hommes du FBI.

Jour après jour, les recherches mènent les agents de marécages en fausses pistes pour ne retrouver que la voiture des disparus. La loi du silence plombe la ville et leur enquête. La population noire est terrifiée et celle des blancs soit complice soit attentiste. Devant le déploiement de tant d’agents fédéraux bientôt aidés par des soldats de la Navy, la presse s’invite et la tension monte.

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« Vous avez tort M. Ward, ce sera la guerre.
_ Il y avait déjà la guerre bien avant qu’on arrive ici. »

Lynchage, rixes, attaques nocturnes sur les maisons et l’église noires, les membres du Ku Klux Klan font savoir qu’ils sont ici chez eux, surveillent les agissements fédéraux et mettent la région à feu et à sang.

Plutôt que de dissuader Ward et Anderson, cette évidente déclaration de guerre du KKK est un aveu. Lorsque Anderson parvient à convaincre l’épouse de l’adjoint du shérif de parler, ils retrouvent enfin les corps des trois militants.

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« Les gens ne naissent pas mauvais, ils le deviennent. À l’école on nous disait que la ségrégation c’était dans la Bible. […] On accepte cette haine, on la respire, on vit avec. »

Entre actions coups de poing et méthodes discutables, le FBI finit par obtenir des aveux et arrête 7 meurtriers dont le shérif et son adjoint. Première dans le comté de Jessup, tous sont condamnés et le maire, complice indirect des faits, se suicide.

Le film s’ouvre sur un contraste qui se passe de mots. Deux plans larges se succèdent, l’un sur les deux fontaines publiques séparant les gens de couleur noire de leurs sembles blancs et le suivant s’attardant sur une église en feu. Simplement rythmés par un chant de gospel triste et mélancolique, ils plantent le décor érigé dans le sud des USA par les lois de Jim Crow : « séparés, mais égaux »…

Depuis la création du Ku Klux Klan entre 1865 et 1866, peu de ses crimes ont gagné la mémoire collective américaine. Loi du silence, peur généralisée, négation des drames du Sud par les états du Nord, les causes sont multiples.

Il est pourtant arrivé que certains faits fassent trembler la nation USA :

« L’État du Mississippi refuse que des américains qui sont blancs de peau reposent auprès de leur ami noir […] Je n’ai plus d’amour dans le cœur […] seule la colère. »

Si certaines villes telles que Little Rock, Birmingham ou Jackson ont une triste réputation établie dans les médias du pays, les actes parfois quotidiens d’attaques sur des maisons, des églises, des Afro-Américains mutilés ou tués passent souvent inaperçus ou sont ignorés du grand public. Les victimes refusent de porter plainte par peur de nouvelles représailles.

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Alors que le Ku Klux Klan bâtit ses premières armes en 1865, le Mouvement pour les droits civiques aux USA plante aussi ses racines. Le XXe siècle est un tournant et plus encore l’après Seconde Guerre mondiale. La lutte pour les droits civiques prend de l’ampleur suite à plusieurs actions :

  • L’ordre exécutif de déségrégation du 25 juin 1941 (Executive order 8802) signé par le président Roosevelt est un premier pas décisif
  • D’autres suivent en 1948 et celui de 1954 met le feu aux poudres à Little Rock
  • La cause prend une ampleur grandissant avec les actions de Rosa Parks et du révérend Martin Luther King Jr.

Comment les USA qui donnent des leçons aux pays colonisateurs et s’érigent en gardiens du monde démocratique peuvent-ils tolérer qu’une large part de leurs citoyens soient considérés comme des non-citoyens, des esclaves ?

Ce postulat a transformé l’activité d’organisations aussi anciennes que le KKK, parmi lesquelles :

  • NAACP créée en 1909 National Association for the Advancement of Colored People
  • SNCC Student Nonviolent Coordinating Committee
  • CORE Congress of Racial Equiality
  • COFO Council of Federated Organizations

C’est pour ce dernier que travaillent James Chaney, Andrew Goodman et Michael Schwerner à l’été 1964, ainsi que 1 000 autres volontaires. Leur but est d’informer et d’encourager les Afro-Américains à s’inscrire sur les listes électorales afin de faire entendre leur voix dans les urnes et de faire changer les choses.

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Mais dans les états du Sud comme le Mississippi, la population noire n’ose pas se rendre en mairie pour s’inscrire sous peine de violentes représailles. Et quand elle le fait, elle trouve souvent face à elle un employé de mairie raciste qui fait en sorte de les décourager sous de multiples prétextes malheureusement recevables légalement :

  • Pouvez-vous écrire votre nom sur la demande (beaucoup de Noirs Américains n’ont alors pas eu la chance d’aller à l’école)
  • Pouvez-vous citer tous les présidents des USA jusqu’à nos jours ?
  • Pouvez-vous réciter tel ou tel passage de la Constitution des États-Unis ?
  • Etc.

La mission de ces jeunes gens idéalistes est donc de préparer, sensibiliser, aider les Afro-américains à faire valoir leurs droits de citoyens envers et contre tous les blocages.

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En premier lieu : lutter contre la menace de mort qui plane dans la mémoire collective sous la forme des milliers de lynchages encore illustrés par des cartes postales en vente libre dans tous les états du sud…

Cette glorification du meurtre va toucher autant les Noirs que les Blancs qui les soutiennent en cet été de la liberté (summer of freedom). Militantisme pacifique contre violence raciste, le duel est inégal. Le trajet de James Chaney, Andrew Goodman et Michael Schwerner attire l’attention du Klan. Suite à leur petite enquête sur l’incendie de l’église de Mount Zion à Neshoba, Mississippi, les trois amis rencontrent leur destin :

  1. Arrestation sur la route menant à Meridian par le shérif de Neshoba sous prétexte d’un excès de vitesse
  2. Enfermés dans la prison de Philadelphie, Mississippi, ils sont relâchés la nuit venue
  3. Réunis dans l’après-midi par le shérif, les membres locaux du Ku Klux Klan les emmènent en voiture loin des regards et des oreilles pour les assassiner
  4. Quelques heures plus tard, leur disparition est signalée comme inquiétante par leurs amis
  5. Le FBI est rapidement mis sur l’enquête, suivie par le procureur général des USA Robert Kennedy, frère du défunt président assassiné
  6. La voiture des 3 militants est retrouvée calcinée et vide
  7. 400 marins de l’US Navy aident 150 agents du FBI à ratisser la région
  8. Il faut attendre 44 jours pour que les corps soient enfin retrouvés
  9. Le FBI poursuit ses efforts, interroge et inculpe 21 membres locaux du KKK
  10. Le gouverneur de l’État du Mississippi refuse de poursuivre ces inculpés en justice
  11. Le gouvernement fédéral reprend la main, mais n’obtient une condamnation que pour 9 inculpés
  12. Ces peines seront ensuite réduites à peau de chagrin

Le sacrifice de James Chaney, Andrew Goodman et Michael Schwerner ne fut pas vain :

  • L’opinion publique est sensibilisée comme jamais notamment grâce aux médias
  • Sous la pression, le président Johnson fait adopter par le Congrès le Civil Rights Act tant demandé par Martin Luther King Jr. avant la fin de 1964

Ce Civil Rights Act met officiellement fin :

  • aux lois de Jim Crow qui légalisait la ségrégation raciale dans l’espace et les services publics
  • aux ségrégations, discriminations basées sur la race, la couleur, la religion ou l’origine nationale
  • 1965 : le Voting Rights Act interdit et condamne toute discrimination au droit de vote

« On coincera tous ces salopards ensemble.
_ Vous en êtes pas capable.
_ Alors vous allez me montrer […] il faut les attraper de n’importe quelle façon, même la vôtre »

Ce film de 1988 est un des premiers grands films américain à aborder le sujet des crimes du Ku Klux Klan basé sur un fait en particulier.
L’hommage est évident et les efforts notables pour raconter sans sombrer dans l’exagération ou les erreurs grossières.
Si de nombreux éléments du scénario collent à la réalité historique ou s’accordent à respecter la vérité, la fictionnalisation offre plus de fluidité au récit. C’est à ce prix que le spectateur accède au sujet complexe et dramatique abordé dans Mississippi Burning.

Car voir ce film est une porte ouverte sur une histoire vraie, mais aussi sur l’histoire dans l’Histoire. Beaucoup de gens pensent savoir ce qu’est le Ku Klux Klan, mais que savent-ils vraiment ?

« À ta place j’aurais peur ?
_ Et vous, vous n’avez pas peur ? »

Alan Parker, entouré d’acteurs remarquables tels que Gene Hackman, Willem Dafoe et Frances McDormand tentent avec talent de dépeindre cet été 1964 et le choc de deux mondes. Celui des Américains du nord et des habitants du sud. Comme si la Guerre de Sécession, Civil War pour les Américains, se poursuivaient inlassablement avec pour boucs émissaires les Afro-Américains.

Dans ce Mississippi Burning, chaque étape de l’enquête officielle est retracée, mais on n’échappe pas aux clichés qui font recette :

  • Le duo de flics de génération différente
  • L’indic idéale que représente l’épouse du tueur (ou l’un d’entre eux)
  • La méthode musclée plus efficace que l’enquête dans les règles
  • Etc.

Les codes du film américain, à savoir un haut niveau de testostérone et surtout de dualisme avec l’idée que le Bien gagne forcément à la fin, pousse un peu loin le politiquement correct.

En réalité, les condamnations ont touché moins de la moitié des personnes impliquées dans la mort de James Chaney, Andrew Goodman et Michael Schwerner et la peine maximale ne fut que de 10 ans. Les sorties pour bonne conduite après 2 ans ont été la règle… Il fallut attendre 2005 pour que de réelles condamnations soient prononcées, notamment envers l’un des responsables du KKK local, condamné à 60 ans de prison alors qu’il en avait 80. Aucune autre personne ne fut poursuivie et l’affaire a pour le moment été classée.

Hormis ses petits arrangements avec l’histoire, Alan Parker s’efforce visuellement à dresser un état des lieux objectif. En toile de fond de cette enquête, le spectateur découvre un Mississippi rural, enfoncé dans un héritage de préjugés et de racisme comme tant de frileux aiment leurs couvertures.

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Refus du monde moderne, éducation assimilable à un lavage de cerveau, détestation ancestrale du Nord et de ses richesses développées après sa victoire lors de la guerre de Sécession, chaque argument est discrètement présenté et son interprétation laissée au choix du spectateur.

On aborde aussi le quotidien de cette misère tant intellectuelle que morale, éloignée d’une ouverture au monde, volontairement préservée envers et contre tous. La bêtise n’est jamais aussi crue que lorsqu’elle nous saute à la figure et c’est le prodige de ce film qui rappelle et même apprend aux ignorants, notamment aux Européens que nous sommes, la dure réalité niée par les Américains eux-mêmes :

  • églises et écoles noires incendiées ;
  • population noire menacée sans arrêt, au moindre regard, au moindre mot, au plus petit faux pas ;
  • les lynchages, les humiliations publiques, les coups et mutilations, les meurtres.
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Si le récit nocturne d’un ami de Rupert Anderson alias Gene Hackman ne vous convainc pas, attardez-vous sur le regard que pose une très jeune grand-mère noire emportant son bébé loin de l’adjoint du shérif au plus grand désarroi de son épouse… Parce qu’un regard, fut-il dans une fiction, vaut mille mots !

“La plupart des gens du Nord ne comprennent rien au Sud. La vérité est qu’on a deux cultures dans le Sud, celle des Blancs et celle des gens de couleur. Depuis toujours ça a été comme ça et ça restera toujours comme ça. »

Tracé incisif des États-Unis des années 1960, Mississippi Burning se regarde comme un documentaire vibrant de vérités trop longtemps cachées sous le tapis de l’Histoire. Ou comment une grande nation, si prompte à donner des leçons au monde entier, était alors incapable de garantir les droits les plus fondamentaux à ses citoyens noirs.

Mississppi Burning – 1988
de Alan Parker
Avec : Willem Dafoe, Gene Hackman, Frances McDormand, Stephen Tobolowsky, Brad Dourif, Michael Rooker, Kevin Dunn, Darius McCrary

  • Les secrets du Ku Klux Klan, Raphaël Coune, 50Minutes.fr éditions
  • Rosa Parks, la femme qui osa dire non, Sophie de Mllenheim, éditions Le Livre de Poche

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