Praxitèle et le premier nu féminin sculpté
Qui était donc Praxitèle ? Était-il aussi beau que ses créations, grand, petit, caractériel comme tous les génies ? Les rares témoignages que nous possédons ne nous apprennent rien. Si ce n’est qu’il a révolutionné la statuaire grecque de l’Antiquité. Son audace a créé un style inédit en son temps et imposé un modèle esthétique plus proche de l’Humain que des dieux. Praxitèle est aussi l’un des rares artistes antiques dont le nom nous est connu. Histoire sympa vous conte son coup de maître, le récit de Praxitèle et du premier nu féminin sculpté.
Praxitèle, un maître sculpteur à Athènes
Les sources éparses et les admirateurs de son œuvre, dont les écrits ont survécu au temps ne sont guère contemporains du bonhomme. Les archéologues ont tout de même pu établir certaines petites vérités au sujet de Praxitèle :
- il a vécu au 4e siècle avant J-C ;
- on date son travail entre 370 et 326 avant J-C ;
- il a sans doute eut son propre atelier avec une équipe de sculpteurs qui travaillait suivant ses instructions comme cela était la coutume pour les artistes recueillant beaucoup de commandes ;
- son père, Céphisodote, fut lui-même sculpteur et proche du stratège athénien renommé Phocion ;
- sa renommée, et les rares éléments portant sa signature que l’on a pu retrouver, attestent de son accession à un statut inédit de son temps : celui d’artiste ;
- ses deux fils qui travaillèrent avec lui ;
- il créa le premier nu féminin de la statuaire grecque, l’Aphrodite de Cnide ;
- sa liaison scandaleuse avec une ancienne courtisane ayant fui Leuctres, Phryné de Thespies, qui fut son modèle ;
- il travailla le marbre et le bronze avec une préférence pour le marbre ;
- il œuvra essentiellement en Attique, contrairement à certaines affirmations consécutives à la découverte de copies romaines de ses sculptures aux quatre coins de l’Empire romain.
Quand les artistes étaient des artisans sans nom
On touche ici à deux éléments importants.
1/ En dépit de leur grandiose contribution aux sociétés grecques et à la célébrité de leur cité, les artistes étaient qualifiés d’artisans. Officiellement ils ne signaient pas leurs œuvres. Pourtant, certaines découvertes archéologiques telles que la signature de Praxitèle sur un socle destiné à accueillir une statue prouve que, sous l’influence de son succès (et de celui d’autres tels que Phidias ou Nicias), les choses commençaient à changer.
2/ Les copies romaines sont une source incontournable de connaissances concernant l’art antique grec mais elles posent parfois problème. Le monde romain a pillé la Grèce après sa conquête. De très nombreuses statues se sont ainsi retrouvées déplacées à Rome avant d’être copiées en grande quantité. Les Romains de l’Antiquité admiraient tant leurs voisins Grecs qu’ils s’inspirèrent à loisirs de leur art. Les siècles ont fait disparaître les originaux pour ne nous transmettre que des copies, parfois transformées au fil de l’inspiration des copistes ou des exigences des commanditaires.
Au final, ce que l’on peut imaginer de l’œuvre de Praxitèle se base sur :
- les copies romaines de sa statuaire ;
- les témoignages de hauts personnages ayant vécu après lui et ne se reposant que sur ces copies : Pline l’Ancien (1er siècle après J-C), Pausanias, Lucien (2er siècle après J-C).
Innovations majeures de Praxitèle
Praxitèle vécu et côtoya sans doute Platon : sa liberté créative nous le prouve. En effet, le sculpteur défia les conventions à plusieurs reprises et, ainsi, imposa une petite révolution artistique destinée à un grand avenir. Ainsi, il :
- s’inspira de sa maîtresse, une humaine, pour créer des statues d’Aphrodite ;
- réalisa plusieurs statues qui n’étaient pas des commandes mais ornaient son atelier : les visiteurs pouvaient ainsi contempler son savoir-faire sur place et même proposer d’acheter ces œuvres uniques ;
- introduisit des paysages ou éléments végétaux et architecturaux dans des fresques sculptées de personnages ;
- créa le premier nu féminin de la statuaire grecque ;
- instaura un modèle étonnant et risqué pour l’époque, la pondération : le personnage sculpté s’appuie sur un pied, l’autre en retrait, et le déhanchement créé est à la fois très prononcé, gracieux et techniquement remarquable pour l’époque ;
- avait recours au talent du peintre Nicias pour mettre en couleurs ses statues.
L’Aphrodite de Cnide de Praxitèle, le premier nu féminin sculpté
Cette œuvre est la plus célèbre du sculpteur. De son temps, déjà, elle fit sa renommée. Reconnu de son vivant, Praxitèle utilisa son statut d’artiste pour défier les règles de son milieu.
Deux statues au choix : habillée ou toute nue
Dans son atelier, il exposa deux statues d’Aphrodite qui n’étaient pas des commandes. L’une était vêtue, l’autre nue. En visite pour admirer le travail de cet homme, dont le nom dépassait les murs de la cité d’Athènes, des habitants de Cos et de Cnide achetèrent ces statues. La ville de Cos emporta l’Aphrodite habillée. Les résidents de Cnide n’eurent plus d’autre choix que la version dénudée de la déesse.
Mais cet achat par défaut apporta à Cnide une renommée qui rendit jalouses de nombreuses autres cités. Pas bêtes, les Cnidiens reçurent des propositions surprenantes comme celles du roi Nicomède III qui voulut leur racheter la statue en échange du paiement intégral de toutes les dettes de leur ville. Que nenni, Cnide garda son Aphrodite.
Aphrodite de Cnide : un canon pour la statuaire antique
Cette statue devenue légendaire est malheureusement perdue. Seuls les témoignages écrits et les copies faites par les artistes romains peuvent nous donner une idée de son allure.
On sait donc qu’elle était en marbre de Paros. Cette île des Cyclades fut la plus reconnue et exploitée dans l’Antiquité pour sa carrière de marbre. Cette pierre était en effet très prisée car particulièrement blanche, très pure, presque transparente. Ce marbre fut le plus utilisé à cette époque.
Les chroniqueurs affirment que le modèle de cette Aphrodite fut Phrynée, la maîtresse de Praxitèle. L’ensemble est un ronde-bosse, une sculpture complète, de face comme de dos et dont on peut faire le tour.
Son visage est décrit comme souriant, la bouche entrouverte, ses yeux donnant l’impression d’avoir le « regard humide » grâce à la peinture qui la recouvrait. Nue, de face, elle dévoilait sa poitrine mais semblait faire un geste de pudeur pour cacher son sexe tandis que son autre main cherchait à saisir son habit posé sur un vase, sculpté à sa gauche. Le détail montrait jusqu’aux fossettes sur ses hanches.
Sa coiffure était délicatement sophistiquée, on distinguait les ondulations de ses cheveux, le chignon souple ainsi que le ruban qui maintenait la coiffe en arrière du front. Légèrement déhanchée, la déesse paraissait à peine appuyée sur l’élément de décor qui maintenait l’équilibre de la statue : le vase et le tissu de son vêtement.
Aphrodite : la puissance du féminin
Cette sculpture d’Aphrodite est devenue un canon de beauté pour tous les sculpteurs. Il représentait un défi technique et affichait la féminité dans toute sa beauté et sa puissance. En effet, les historiens d’arts voient dans cette main droite avancée sur le sexe non pas de la pudeur mais l’affirmation désignée de la force de la déesse. Aphrodite est la déesse de l’amour, de la sensualité du corps de la femme, de sa force de séduction. Elle se baigne pour régénérer sa force primordiale. Ici, elle sort de son bain, toute puissante, sûre d’elle. Cette Aphrodite représente toute la beauté des femmes.
Les riches commanditaires et les artistes romains de l’Antiquité s’inspirèrent beaucoup de cette statue d’Aphrodite. On en retrouva le style partout, tant la statuaire des villas romaines que dans les peintures et les mosaïques.
Les œuvres d’art les plus remarquables sont celles qui s’affranchissent des codes établis. Praxitèle fut l’un des premiers artistes reconnus en tant que tel, en un temps qui considérait les sculpteurs et les peintres comme des artisans. Défiant l’ordre des choses, il imposa sa vision créatrice et gagna un statut encore inédit. Il lança même une nouvelle mode puisque le chignon de son Aphrodite de Cnide devint très convoité des femmes de son temps.