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Films Historiques

Désastre américain en Somalie ou la chute du faucon noir

Voici bien un film que nous n’avions pas forcément envie de voir. La Chute du faucon noir relate des évènements contemporains pour Histoire Sympa, trop peut-être pour susciter un intérêt immédiat. On aime l’ancien, le vieux, le lointain. Et pourtant. Curiosité et maturité aidant, votre chroniqueur préféré (on l’espère en tout cas), a jeté son dévolu sur ce long métrage du talentueux Ridley Scott. Pour se prendre une claque monumentale (bien fait). Ce film retrace heure par heure, avec fidélité et vaillance, les événements survenus en à Mogadiscio. Il expose aussi les tristes rouages d’octobre 1993 : désastre américain en Somalie.

Black hawk down : opération coup de poing

« C’est pas que je les aime, je les respecte. Ces gens-là n’ont aucun avenir […]. Alors j’ai réfléchi et je me suis dit […] ou on leur donne un coup de main ou on se croise les bras et on regarde ce peuple s’autodétruire sur CNN ».

Extrait du film La Chute du faucon noir, réplique du sergent Eversman (Josh Hartnett)

Octobre 1993, Somalie. Le pays est en guerre civile depuis la fin des années 1970. Celle-ci a pris un tournant plus tragique encore avec les affrontements que se livrent des seigneurs de guerre. En tête de liste, le président officiel, Ali Mahdi Mohamed, et son principal rival, le général Aïdid. Sa milice tient la capitale de Mogadiscio et fait main basse sur les ressources, condamnant la population à la famine. Depuis un an, l’ONU tente de superviser cessez-le-feu et négociations. En vain.

« Vous avez tort de me prendre pour un primitif sous prétexte que quand j’étais petit, il n’y avait pas l’eau courante. […] Cette guerre civile est la nôtre, pas la vôtre.

300 000 morts, ce n’est plus une guerre civile, c’est un génocide. »

Entre 1992 et 1993, et pour la première fois de leur histoire, les Nations unies envoient une force armée de 30 000 hommes de toutes nationalités, des « gardes bleus », futurs casques bleus. Un raid des miliciens de Aïdid cause la mort de 41 soldats pakistanais. En réponse, les USA, qui commandent sur place, déploient 1 800 marines américains. Parmi eux, des forces d’élite, Rangers et Delta force.

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Le général Garrison face à son prisonnier Osman Atto

Leur but est de mettre fin à la terreur de Aïdid en 3 semaines. 6 semaines plus tard, rien n’a encore changé et l’impatience gagne du terrain. 2 octobre 1993. Grâce à un informateur travaillant pour la CIA, les forces américaines apprennent qu’une importante réunion va se tenir au cœur du marché de Mogadiscio le 3 octobre. Celle-ci réunira deux des plus proches conseillers du général Aïdid. L’opération Irène est mise sur pied pour les capturer. Elle devait prendre 1h mais durera jusqu’au lendemain et causera la mort de nombreux soldats et civils.

Des personnages réels mis en scène

Le film retrace les événements de cet automne 1993, désastre américain en Somalie, minute par minute. Le point de vue privilégié est celui des soldats américains pris au piège de la guérilla urbaine. Le réalisme est tel que, pour une fois, le manichéisme et la grandiloquence typiques des films du genre sont mis de côté. On partage, à tour de rôle, les points de vue des hommes qui ont vécu les faits.

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  • Blackburn, le jeune bleu, 18 ans, avide de partir au combat, bercé de rêves de grandeur sur le champ de bataille, tellement nerveux, qu’au moment crucial, il commet une erreur de débutant qui enclenche un processus de dominos menant au massacre général ;
  • le sergent Eversmann, soudainement propulsé chef de son unité, prend son devoir à bras le corps, tant pour les hommes qui le suivent que pour ce qu’il pense encore être une mission vitale à la survie des civils ;
  • le soldat d’élite Delta force Gibson, désabusé, fait son job avec pour seul souci d’allier le succès à la protection de ses camarades de combat ;
  • le capitaine pédant Steele, sûr de lui, se retrouve obligé de suivre les exhortations d’un Delta force moins gradé lorsque, pris sous le feu ennemi, il doit bien accepter que la théorie et la pratique sont deux choses parfois incompatibles ;
  • le ranger Grimes, brimé d’avoir été cantonné au travail de bureau pendant des années, râleur parfait, est brusquement envoyé sur le terrain : il fait appel à toutes ses ressources pour rester en vie ;
  • le lieutenant-colonel McKnight déploie autant d’invectives que de courage pour mener à bien son convoi de prisonniers alors que ses hommes tombent uns à uns ;
  • le duo d’officiers bien à l’aise à 500 m d’altitude qui oriente très maladroitement les hommes au sol, quitte à les envoyer droit dans la gueule du loup ;
  • le général Garrison refuse trop longtemps de considérer que son opération tourne au désastre avant de faire appel à des forces armées alliées pour sauver ce qui peut encore l’être.

À leurs côtés, les soldats se démènent, sont estropiés, blessés ou taillés en pièces mais avancent sous un tir nourri qui paraît fuser de tous côtés, des toits, des maisons, des rues. Chaque action fait la démonstration d’une triste fatalité. La chance insolente de certains contraste avec la poisse qui colle aux semelles des autres.

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1993 : désastre américain en Somalie, champ de bataille urbain

C’est toute l’absurdité des conflits armés mêlée au destin des hommes. Face à l’excès d’assurance, très américaine, des premières minutes du film, la mise en lumière du marché local, plus gavé d’armes et de munitions que de denrées, annonce le drame. Plus encore, les doutes du jeune sergent Eversmann, le sacrifice des snipers Gary Gordon et Randall Shughart portant assistance au pilote blessé Michael Durant, sans savoir quand leur cavalerie arrivera, révèlent l’humanité qui peut exister au cœur d’une bataille.

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Gary Gordon et Randall Shughart, héros de la bataille de Mogadiscio morts lors du désastre américain en Somalie

Cette abnégation des uns pour les autres flatte un des épisodes les moins glorieux de l’intervention armée des USA à l’étranger.

La bataille de Mogadiscio, un désastre américain en Somalie

« Le jour au lieu de la nuit, à l’heure où ils défoncés […], dans le marché où Aïdid peut monter une contre-attaque en 2 minutes, je vois pas ce qui me gêne. […]. Le marché de Bakara c’est le far-west ».

Extrait film La Chute du faucon noir, réplique de Tom Sizemore dans le rôle du lieutenant-colonel McKnight

Établit dans l’urgence, le plan est simple, basique, mais ignore les contraintes évidentes du terrain. Cette erreur tactique mène l’opération droit à la catastrophe.

Un plan simple en apparence

Grâce à l’espion local, le lieu de la réunion est révélé, en plein cœur du marché de Bakara, fief ennemi. Des unités de la Delta force, accompagnées de Rangers en appui, sont acheminées par hélicoptères au-dessus du bâtiment. Ces derniers restent en stationnement pour protéger les hommes au sol. L’assaut doit permettre de capturer tous les participants de la réunion. Attendant à proximité, des véhicules de transport appuyés d’autres blindés armés doivent s’avancer au signal de la Delta force pour embarquer les prisonniers et les soldats. Dès le dernier homme à bord, le convoi repart pour sortir de la ville et regagner la base arrière-US située à 6 km.

La réalité du désastre américain de Mogadiscio

« Rien ne peut prendre 5 minutes ! »

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Les gradés sur le terrain de la catastrophe de 1993, désastre américain en Somalie

L’assaut se déroule comme prévu mais l’arrivée des hélicoptères est très rapidement perçue par la milice. Celle-ci se déplace pour répliquer. Tandis que la Delta force remplit la première phase du plan, les Rangers et le convoi sont pris pour cible. Les miliciens sont bien équipés et visent notamment les hélicoptères restés en stationnement le temps de déposer les Rangers. Ceux-ci descendent au sol à la corde. Alors qu’un des hélicoptères est visé au lance-roquette, il manœuvre rapidement pour éviter l’impact et cause la chute d’une recrue. Le jeune homme est gravement blessé et son sergent demande son évacuation d’urgence avec le convoi.

Déstabilisée, l’opération est dès lors perturbée : trois véhicules blindés et une unité de la Delta force abandonnent la protection du convoi pour emporter le blessé vers la base. Tout le long du parcours, ils sont harcelés et perdent un homme de plus. Du côté du convoi, le chargement de prisonniers prend du retard. C’est alors que la situation vire au cauchemar : un des hélicoptères est touché par une roquette et va s’écraser au cœur de la ville.

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Les Rangers et l’effectif restant de la Delta force, prisonniers du marché de Bakara, reçoivent l’ordre de se diriger sur le site du crash pour secourir leurs camarades et sécuriser la zone. Ils pensent être ensuite rejoints par le convoi pour le transport des blessés. Tous endurent un feu nourri. Lorsque le convoi repart enfin, il est assailli de rue en rue, bloqué par des barrages montés à la va vite, et tourne en rond. Les blessés et les morts s’accumulent tandis que l’étau se resserre et que le commandement semble aveugle à la gravité grandissante de la situation.

« Toute cette put..n de ville va leur tomber dessus. […] Je veux récupérer mes hommes, tous mes hommes. »

Un film basé sur les témoignages des vétérans du désastre américain en Somalie

« On vous a appris à vous battre sergent ?

Je crois qu’on m’a surtout appris à changer les choses. »

Les meilleurs films de guerre sont ceux qui prennent soin de ne rien enjoliver de la réalité. Ils mettent en scène les souvenirs des rescapés, affichent le récit des faits et rien que les faits. Minute par minute, ou presque, La Chute du faucon noir fait revivre cet épisode méconnu de l’intervention internationale en Somalie. Le livre qui sert de support au scénario, Black hawk down : a story of modern war de Mark Bowden retrace les événements d’après les témoignages des vétérans.

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Ce film est donc un modèle du genre en ce qui concerne le respect de la vérité historique. Par ailleurs, l’art de Ridley Scott n’est plus à démontrer. Dans La Chute du faucon noir, le spectateur est soufflé par le réalisme des combats. Les échanges de tirs, les explosions, l’urgence, les peurs, les pertes, la fraternité, les doutes, les incertitudes, chaque élément nous foudroie. Au total, ce sont deux hélicoptères Black hawk qui sont abattus par la milice du général Aïdid. Alors que les Rangers tentent de se diriger sur les zones de crash, les survivants sont attaqués à leur tour.

L’urgence est palpable dans ce film qui n’épargne rien du chaos ambiant rencontré par les soldats au cours de cet épisode de guérilla urbaine : des barrages à chaque coin de rue ; des hommes armés à toutes les fenêtres ; des civils pris entre deux feux ; la volonté féroce des américains de venir au secours des leurs, sans même savoir s’il y a encore quelqu’un à sauver.

« C’est de la folie. Et s’il n’y avait aucun survivant ?

On s’en fout, on laisse personne derrière ! »

Pourquoi voir La Chute du faucon noir de Ridley Scott ?

Un film modèle du genre

Même en faisant l’impasse sur l’impressionnant casting, on ne peut qu’être frappé par la qualité de ce film. Contrairement au manichéisme cher au cinéma hollywoodien, La Chute du faucon noir évoque le travail d’Oliver Stone. Il n’est pas question de bien et de mal dès lors que l’opération tactique vire au massacre.

« Vous vous foutez de nous ? On aurait fait tout ça pour rien ? »

Somalie 1993 paysage

Seule demeure la pensée militaire typique US (mais pas que) : on n’abandonne personne derrière. Cette doctrine est la cause de nombreuses morts inutiles dans plusieurs conflits. Elle est ici à la fois célébrée et montrée telle qu’elle est : une des causes d’une bataille perdue. Mais, inévitablement, la source du courage qu’il faut à ces hommes pour survivre.

« On le fait les uns pour les autres. »

Le sort des civils : un contraste irréel

La folie humaine brille à travers un contraste irréel : entre des paysages à couper le souffle et la férocité ambiante. Le combat se termine sur un groupe de soldats forcés de sprinter derrière les véhicules déjà pleins. Epuisés, ils ont aidé à l’évacuation finale mais doivent encore courir pour sortir de la capitale et de la zone ennemie. À bout de forces, ils voient des civils Somaliens les accueillir, tous sourires, en bordure du stade qui sert de base militaire aux forces pakistanaises. Des hommes, des enfants semblent leur faire un triomphe alors qu’ils reviennent de l’enfer, comme s’ils étaient une équipe sortie vainqueur d’un match. La force et la résilience des civils Somaliens éveille les consciences.

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La Chute du faucon noir ou la désastre américain en Somalie

Une fenêtre ouverte sur le désastre américain en Somalie et l’échec humanitaire

On entrevoit aussi le sort tragique de la Somalie. Le marché de Bakara propose bien plus d’étals de fusils, de cartouchières et de roquettes que de nourriture. L’aide alimentaire pour laquelle se battent des êtres faméliques au ventre vide est éclaboussée de sang. Faute d’une distribution sous surveillance de la part de l’ONU, les miliciens font main basse sur les sacs de riz à coups de mitraillette. En quelques images disséminées entre les scènes de combat, on perçoit la détresse des civils, la famine assassine, la prison mortelle que fut Mogadiscio. Et les manquements d’une Organisation des nations unies totalement dépassée en dépit de ses bonnes intentions.

« Personne ne choisit d’être un héros. Mais parfois ça finit comme ça. »

La Chute du faucon noir de Ridley Scott, 2002

Avec : Josh Hartnett, Orlando Bloom, Eric Bana, Sam Shepard, Ewan McGregor, Tom Hardy, Tom Sizemore, William Fichtner, Jason Isaacs, George Harris

Aller plus loin :

  • Roman éponyme (Black hawk down : a story of modern war), Mark Bowden ; ed. Plon.
  • Somalie, la guerre perdue de l’humanitaire, Stephen Smith, éd. Calmann Lévy, 1993.
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