Gilles de Rais ou le « mythe » de Barbe Bleue
Les contes de fées sont toujours liés à une vérité. Celle-ci peut-être philosophique et traiter de la bonne moralité, de ce qu’il convient de faire ou non pour vivre en société. Mais quand elle s’inspire de faits réels et tragiques, ainsi que le fut la mythologie, l’historien est particulièrement curieux ! Voyez comment la sanglante fin du baron Gilles de Rais a créé le mythe de Barbe bleue.
L’homme à la barbe bleue
Il était une fois un homme excessivement riche, qui possédait des maisons en ville et des châteaux à la campagne, de la vaisselle d’or et d’argent, des trésors de broderie et de tapisserie, des joyaux à faire pâlir les rois et des carrosses dorés. Mais il arborait une barbe si fournie et surtout si bleue qu’il effrayait toute femme qu’il aurait souhaité demander en mariage. Pourtant, on racontait que sa fortune lui avait déjà permis de se marier plusieurs fois mais que ces épouses avaient disparu. Sans doute avaient-elles fini par le quitter, tout laid qu’il était.
Ses richesses et son triste célibat séduisirent une énième jeune femme. Quelques semaines après leurs noces, son époux lui annonça son départ en voyage. Il lui remit les clés de toutes les serrures du château, portes et coffres, mais la mit en garde quant à la plus petite d’entre elles : « C’est la clef du cabinet au bout de la grande galerie […] je vous défends d’y entrer, et je vous le défends de telle sorte que s’il vous arrive de l’ouvrir, il n’y a rien que ne deviez attendre de ma colère ». La jeune femme fut obéissante les premiers jours d’absence de son mari, mais l’ennui aidant, la tentation devint de plus en plus forte. La curieuse finit par entrer dans la pièce interdite pour y découvrir un plancher recouvert de sang séché et des murs auxquels pendaient les cadavres de ses précédentes épouses !
Gilles de Rais, compagnon de Jeanne d’Arc
Inclut dans le recueil des Contes de ma Mère l’Oye de Charles Perrault, ce récit a inspiré l’archétype du tueur de femmes, du tueur en série et nourri l’imagination populaire. Si on peut s’étonner de retrouver Gilles de Rais en Barbe bleue, lui qui fut condamné pour meurtre d’enfants et non de femmes, il faut avouer que l’argument publicitaire fait son petit effet. Les visiteurs se pressent chaque année pour visiter le château de Tiffauges, ancienne demeure du compagnon de Jeanne d’Arc et lieu de méfaits atroces relatés durant un double procès qui aboutit à la condamnation à mort de celui qui fut le « grand magicien ».
Né aux environs de 1405, Gilles de Montmorency-Laval, baron de Retz (Rais), hérite des titres de chevalier et seigneur de Bretagne, d’Anjou, du Poitou, du Maine et d’Angoumois. Il fait alors partie de cette petite part de nobles bien plus riche que le roi de France et que la plupart de ses semblables. La guerre de Cent ans perdure depuis plus de 80 ans quand il rejoint le camp de Charles VII et participe à toutes les actions menées par Jeanne d’Arc, dont la levée du siège d’Orléans. Mais, après le sacre de Charles VII à Reims et la condamnation à mort de la Pucelle par les Anglais, il semble perdre toute raison.
Le noble chevalier devenu fou ?
Son immense fortune ayant été engloutie par l’entretien d’une armée nécessaire à son roi, il se retire sur ses terres. A-t-il perdu la Foi ? Est-il seulement dévoré par l’illusion de sa gloire passée et de ses richesses envolées ? Toutes les hypothèses sont aujourd’hui avancées tant par ses détracteurs que par les historiens attachés à laver son nom. Les faits sont pourtant là : il commença par vendre ses terres, domaines et châteaux pour, parfois, guerroyer afin de les récupérer à ses acquéreurs sous de faux prétextes. La protection royale s’épuise et finit par céder face aux réclamations émises par ses proches, furieux de voir le reste des biens familiaux partir en fumée, et les tiers spoliés de ce qu’ils avaient pourtant légalement acquis ! La couronne de France le met sous tutelle.
Cela n’arrête pas la descente aux Enfers de cet homme prêt à tout : les rumeurs, timides d’abord, se répandent dans le pays de Tiffauges. Des enfants disparaissent, des cris résonnent depuis les murs de l’édifice. Et le désespoir des paysans vivant sur les terres du baron trouve écho auprès de ceux qui ont déjà quelques griefs contre le bonhomme. Ses proches, notamment son frère cadet René de La Suze, pour commencer, et surtout un dangereux puissant en la personne du duc Jean V de Bretagne. Il a derrière lui les bourgeois de la ville d’Angers, merveilleux financiers de la cour bretonne, l’évêque-chancelier Jean de Melstroit et son administrateur, un clerc nommé Jean Le Ferron. Tous sont particulièrement malmenés par les entourloupes de Gilles de Rais afin de reprendre la châtellenie de Saint-Étienne-de-Mer-Morte précédemment acquise par le duc de Bretagne.
Gilles de Rais : Barbe bleue coupable ou victime ?
Les témoins ne se font pas prier et, malheureusement pour lui, le baron sanglant leur fourni pléthore d’arguments. Le jour de la Pentecôte, il dresse une embuscade autour du domaine de Saint-Étienne-de-Mer-Morte et va jusqu’à pénétrer dans l’église en pleine grand-messe ! En armure et épée au poing, il menace Jean Le Ferron, qui célébrait la messe et le fait enfermer à Tiffauges avec le sergent général du duc de Bretagne. Malgré ses titres, Gilles de Rais reste vassal du duc et de l’Église : il commet une faute qui va lui coûter la vie. Refusant les injonctions cléricale et ducales, il accepte cependant de rencontrer Jean V de Bretagne qui le fait prisonnier sur le champ.
Arrêté en 1440, Gilles de Rais est accusé de meurtres sacrificiels d’enfants à seule fin de satisfaire un démon dans le but d’obtenir la transmutation du plomb en or. Le procès s’appuie sur les déclaration de l’accusé qui, correctement torturé suivant les méthodes inquisitoriales éprouvées, avoue les pires des atrocités.
Les historiens bagarrent encore de nos jours pour déterminer la véracité des accusations ayant abouti à la mise à mort de Gilles de Rais. Plusieurs hypothèses sont étudiées :
- une famille qui souhaitait se débarrasser de ce chef qui gardait la main sur leur fortune et en faisait n’importe quoi ;
- un roi de France irrité par les reproches d’un puissant seigneur quant à sa fausse impuissance à sauver Jeanne d’Arc de ses bourreaux ;
- un clergé humilié par une transaction contestée violemment par le seigneur de Tiffauges ;
- un duc à l’orgueil blessé et à l’autorité contestée publiquement ;
- etc.
Un procès aussi hors normes que l’accusé
Au final, il y eut une sorte de double procès, laïc et séculier : un mené par l’Église et un autre par le juge du duché de Bretagne, à Nantes. Mêlés aux chefs d’accusation de sorcellerie et de meurtres sacrificiels se trouvaient des arguments ayant trait aux transactions territoriales contestées, après coup, par Gilles de Rais. Pourtant, toute idée complotiste s’évanouit à la seule pensée que nombre de témoignages ternirent à jamais l’image du chevalier. Paysans, mercenaires avec lesquels il commettait ses enlèvements et assassinats, parents d’enfants disparus, etc., tous évoquèrent des faits bien trop graves et trop semblables pour n’être qu’invention.
Habilement expédié ou non, le procès eut pour seul verdict la mort par le bûcher. Gilles de Rais mourut le 26 octobre 1440 à Nantes. De nos jours, nombreux sont les historiens renommés ou bien les amateurs à chercher la vérité derrière le mythe. Qu’est-il arrivé à ce puissant baron de France pour qu’il sombre ainsi dans les pires exactions possibles ?
Les aménagements ordonnés par ses soins au corps de logis qui lui servait d’appartements au sein de la forteresse de Tiffauges, son fief, interrogent aussi. Des douves sont creusées tout autour de ce donjon, de telle sorte qu’aucune entrée, ou sortie, n’était possible sans que le maître des lieux n’en soit informé. Piège pour ses victimes tentant de s’échapper ? Assurance de ne pas être pris en flagrant délit ? Désir de garder secret ses obscures desseins ? Ou simple protection supplémentaire pour sa famille après ce qu’il avait vu à la guerre ?
Gilles de Rais, devenu Barbe bleue, demeure un mystère de l’Histoire de France, un grand homme tombé dans la plus absolue déchéance. Mais, au contraire de ses tristes semblables tombés pour avoir provoqué tant la colère que l’avidité des rois, le baron pourrait bien avoir payé le prix de la guerre des trônes entre France et Angleterre.