La Bande à Baader d’Uli Edel : terrorisme en Allemagne
De nos jours, les racines du terrorisme sont associées à de lointains pays. Pourtant, il fut un temps, pas si éloigné, où il a surgi des cicatrices de notre histoire récente. La Bande à Baader d’Uli Edel, film franco-tchéco-allemand de 2008 raconte la genèse du groupe Fraction armée rouge né en 1967. Entre attentats, attaques à mains armées, enlèvements, vols et recrutement dans toutes les couches de la société, ce groupe terrorisa l’Allemagne de l’Ouest durant « les années de plomb ».
Une révolte populaire aux sources de la guerre urbaine
« La contestation, c’est quand je dis que ça ne me convient pas. La résistance c’est quand je fais en sorte que ce qui ne me convient pas ne puisse pas durer plus longtemps. […] Vous devez savoir que, nulle part au monde, vous ne serez à l’abri des attaques de la guérilla révolutionnaire. »
Le 2 juin 1967, le Shah d’Iran visite Berlin-Ouest sous l’ombre grandissante de l’opposition populaire. Dans les rues se massent des gens que tout oppose : des Iraniens vivant en Allemagne de l’Ouest, des sympathisants d’extrême gauche et des policiers. Au fait des rumeurs d’exactions et l’opulence qui marquent le règne du Shah, une partie de la jeunesse ouest-allemande a fait le choix de montrer sa désapprobation sur le passage du cortège diplomatique. Elle n’est pas seule : la journaliste Ulrike Meinhof publie, ce même jour, une lettre ouverte à l’épouse du Shah dont elle critique ouvertement les actions et les propos.
Mais la journée vire soudain au cauchemar. Qui a commencé ? Les résidents iraniens, de la fièvre des manifestants ou une police répressive acharnée ? La manifestation s’embrase, les coups pleuvent, les cris et la cohue s’installent brusquement. Au milieu des gens fuyant les coups portés par la police montée, un coup de feu claque. Benno Ohnesorg, un étudiant de 26 ans, tombe, une balle dans la tête. Le policier responsable fuit les lieux mais la nouvelle sera dévastatrice. Elle ne fait qu’aggraver le mécontentement d’une jeunesse décidée à prendre sa revanche sur les conséquences d’une guerre qu’elle n’a pas connu mais qui hante ses pas.
Porté par la vague qui déferle sur le monde en 1968, le mouvement social, poussé par une extrême gauche à l’influence grandissante, accouche d’une organisation clandestine prête à tout : la Fraction armée rouge. À sa tête, Andreas Baader, un mauvais garçon devenu enragé, et Gudrun Ensslin, l’ancienne fille sage, rallient de nombreux partisans. Des citoyens lambdas à la populaire Ulrike Meinhof, tous seront prêts pour une guérilla urbaine sans merci…
Sur une ouverture glaçante de réalisme, le ton est vite donné. Avec un rythme qui ne s’épargne rien et refuse les faux semblants, La Bande à Baader d’Uli Edel expose fièrement un autre épisode sombre de l’Allemagne du XXe siècle. Inspiré du livre de Stefan Aust, Der baader meinhof complex retrace les dix premières années du groupe terroriste Fraction armée rouge. De sa formation à la mort, en prison, de leurs leaders devenus historiques, ce long métrage explore les motivations, l’essence et l’effet de groupe nourrit d’une rage inédite.
La Bande à Baader, filiation directe de l’après nazisme
« Cette fois on n’a pas le droit de regarder et de se taire […]. Nous sommes responsables de notre histoire. […] Je n’accepterai jamais que personne ne fasse rien contre l’injustice, jamais. »
Réalisé avec excellence par un réalisateur attaché à une époque et des événements qui le touchent personnellement, ce film est à voir. Au-delà de la violence brute, il dépeint une Allemagne de l’Ouest loin d’être aussi assagi que l’on a pu le laisser croire aux écoliers français. Reprenant les recherches minutieuses et le témoignage d’un homme qui a fréquenté Ulrike Meinhof, puisqu’ils appartenaient au même cercle de journalistes, La Bande à Baader entend présenter les faits avec justesse. Pour quiconque s’est intéressé aux événements de mai 1968 en France et dans le reste du monde (Histoire Sympa vous l’apprend peut-être mais il y a eu des mouvements sociaux-politiques jusqu’au Japon, si, si), la révolte montante qui a abouti à la naissance de Fraction armée rouge s’expose ici avec une nette évidence.
Les propos associés aux principaux protagonistes peuvent être romancés pour la forme mais ils ne peuvent trahir la forme des réels communiqués rédigés par Andreas Baader et Gudrun Ensslin, ni les articles publiés d’Ulrike Meinhof.
On y retrouve un désir aveugle de renverser le pouvoir en place, le besoin de changer les méthodes d’enseignement supérieur et l’accès aux emplois, un rejet meurtrier de la main mise américaine motivé par la Guerre du Vietnam, le soutien au Shah d’Iran, la crise de Cuba et la lutte pour les droits civiques pour les afro-américains. Le contexte politique influencé par les États-Unis ferme alors la porte aux aspirations de gauche. Les étudiants forment donc leur propre opposition parlementaire, portée par des manifestations de plus en plus massives. Celle du 2 juin 1967 semble avoir mis le feu aux poudres. La répression policière ayant abouti à la mort d’un étudiant, la conclusion est toute donnée : c’est là une résurgence du 3e Reich.
La Bande à Baader montre une génération qui demande des comptes aux anciens quant à leur absence de réaction ou même leur participation active à la montée du national-socialisme futur parti nazi. Les assassinats en cascades ne font que conforter cette jeunesse dans son rejet de l’autorité des états : John puis Robert Kennedy, Martin Luther King, Che Guevara jusqu’à leur propre leader Rudi Dutschke qui réchappe de peu à la mort. À leurs yeux, quiconque veut changer les choses est supprimé par ceux qui détiennent le pouvoir depuis longtemps. Leurs intérêts ne résident évidemment pas dans un bouleversement salvateur… Les plus décidés optent pour la clandestinité et l’action armée. Le groupe Fraction armée rouge est né. Au programme : attentats à la bombe, enlèvements, évasions, formation dans un camp de Jordanie…
La Bande à Baader : terreur dans l’Allemagne d’après-guerre
Il est toujours délicat d’affirmer qu’un film retrace l’exactitude historique. Pour autant, le film La Bande à Baader d’Uli Edel, du point de vue français, recèle de nombreuse qualités. L’objectivité est de mise : les faits, les intervenants sont présentés suivant un seul fil conducteur chronologique. Il passe par toutes les étapes fondatrices d’un mouvement terroriste qui a rendu l’Allemagne paranoïaque durant une bonne dizaine d’années. Pire, il dépeint l’exemple même de l’organisation de terreur socio-politique : les têtes ont beau tomber, d’autres prennent leur place.
La subtilité suggère aussi les différences qui habitent les relations entre les principaux protagonistes. Les images d’Épinal du quotidien bourgeois d’Ulrike Meinhof entrent en contradiction avec ce que vivent déjà Baader et Ensslin. Ulrike est une intellectuelle qui se berce d’illusions, qui idéalise la lutte et envisage sa participation au groupe comme une nouvelle vie, quelque chose d’enfin exaltant. En accord avec ses idées, la journaliste qui défend un autre monde se laisse séduire avant de sombrer. Ce qui rapproche un temps ces trois personnages ne fait ensuite que les confronter lorsqu’ils sont emprisonnés. Leurs rivalités transforment les certitudes en doutes avec une dose de paranoïa. Meinhof est rongée par la culpabilité et reproche aux autres ses propres choix, son engagement.
Alors que Baader et Ensslin s’enferment dans leur révolte face à leurs juges, Meinhof se perd elle-même. Le film présente le procès et les conditions d’emprisonnement des premiers meneurs du groupe en parallèle des tentatives désespérées et meurtrières de les libérer qui se multiplient. L’idéologie semble sombrer avec les « victoires » sur l’ordre établi qui disparaissent corps et bien. Il ne s’agit plus bientôt de cause politique ou de revendications populaires mais bien de vengeance, de revanche, de représailles.
Tous les acteurs sont brillants de réalisme, quel que soit le camp mis en lumière. Car il faut bien démontrer les pérégrinations policières et la réponse politique aux actions de la bande à Baader. Magistral Hitler dans La Chute, Bruno Ganz campe un Horst Herold méticuleux et réfléchi qui prend son temps mais finit par faire mouche. Il est l’exact opposé des fondateurs du groupe Fraction armée rouge : c’est un ancien de la Wermarch qui est passé par un camp de prisonniers soviétique tandis que les leaders du groupe sont tous nés pendant la Seconde guerre mondiale. Leurs conceptions du monde diffèrent et s’entrechoquent.
Sans chercher un héros, La Bande à Baader d’Uli Edel présente une jeunesse aux yeux de laquelle l’Allemagne nazie n’a pas encore assez payé. Sur fond de mai 68 bousculé par une jeunesse universellement décidée à ne plus être le jouet de ceux qui les destinent à d’autres tranchées, ce film est d’une franchise marquante.
2 commentaires
Marie
Ta chronique m’a vraiment donné envie de voir ce film. Moi qui habite en Allemagne, c’est une partie de l’histoire du pays dont on parle peu et comme tu le mentionnes, on oublie parfois que le terrorisme n’est pas nouveau et qu’il a connu d’autres visages.
Clémentine Fourau
Bonjour Marie et merci de ton commentaire. Avec le temps, je m’intéresse de plus en plus à l’Histoire de ce pays. Heureuse que cette chronique t’ai appris quelque chose mais surtout donné envie de voir ce film ! ^^