Pourquoi Tout le Monde venait Voir la Guillotine ?
C’est une question qui intrigue et fascine en même temps : pourquoi diable tout le monde venait voir la guillotine en action ? Les exécutions publiques vont de pair avec l’Histoire de l’humanité. Depuis l’Antiquité, on se complait à montrer au peuple ce qu’il en coûte de braver l’ordre établi. Pourtant, avec cette machine à tuer, l’époque de la Révolution française a engendré un spectacle morbide inédit. Richement documenté, le récit national de la guillotine, dont la triste réputation s’étendit rapidement jusqu’aux pays voisins de la France et même aux tous neufs États-Unis, fait encore frissonner.
Exécutions publiques : une longue histoire !
Quand on regarde les gravures, les représentations de tous styles de cette guillotine, on la voit continuellement entourée d’une foule dense et fébrile. Les récits des chroniqueurs de la Révolution française, parfois eux-mêmes passés ensuite sous le couperet pour avoir fait trop de bruit, nous rapportent l’attrait public pour l’engin aux nombreux surnoms (voir plus bas).
Pourtant, les exécutions publiques ne sont pas nées avec la guillotine. Dès l’Antiquité, le raffinement veut que la foule participe de plein droit à la mise à mort, soit par ses actions (lapidation), soit par ses encouragements mouvementés (pouces levés ou baissés face aux malheureux condamnés à mort dans les arènes). Le rôle de spectateur attentiste apparaît enfin lors des crucifixions et des décapitations : les premières étant réservées aux esclaves et non citoyens, les secondes pour les citoyens romains de plein droit mais reconnus coupables.
Le Moyen-Âge voit ensuite naître une large, très large variété de supplices publics auxquels il devient légalement obligatoire d’assister. Cette barbarie a alors trois fonctions majeures qui se recoupent : humiliation, souffrance et dissuasion. Dès 1310, à Paris, le lieu de prédilection de l’autorité royale en matière de mise à mort publique devient la place de Grève, future place de l’Hôtel de ville.
Tout le monde y passe : hérétiques (Templiers), sorcières, bandits (Cartouche), voleurs, assassins, coupables de crimes de lèse-majesté ou de régicides : Ravaillac, Robert-François Damiens.
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Selon le crime, le répertoire des supplices varie mais le raffinement cause parfois des malaises dans la foule (venir là pour tomber dans les pommes, quelle ineptie) : roué, châtré, écartelé, brûlé vif, pendu, décapité à la hache ou l’épée, huile bouillante, etc.
Et puisqu’il est obligatoire d’être spectateur pour le petit peuple, celui-ci est prévenu jusqu’à 48 h à l’avance de sorte qu’il ne manque pas le rendez-vous par voie d’affichage et de crieurs publics : le marketing de la mort est inventé.
« C’est dans la peine et non dans la vue de l’exécution que se trouvent l’intimidation et l’exemple. »
Agénir Bardoux, 1884.
Agénor Bardoux, sénateur de la IIIe République, plaide pour une suppression de cette sorte de publicité relative aux exécutions capitales. Sa proposition est adoptée et les exécutions auront désormais lieu dans l’enceinte des prisons (à de rares exceptions près : le 17/06/1939, Eugen Weidman, un Allemand coupable de crimes commis en France, passe sur la bascule).
Entrée en scène de la guillotine : quel spectacle !
La machine de mort est prétexte à supprimer la torture, à remplacer la main du bourreau (même s’il continuera d’actionner le couperet), de le soulager de ses efforts lorsqu’il doit procéder à plusieurs exécutions dans la même journée, et à limiter la quantité de sang versé face à la foule.
Ce point de départ humaniste qui veut précipiter la mort et éviter des souffrances inutiles donne cependant naissance à l’une des inventions les plus terrifiantes qui soit. Contrairement à ce que sous-entend son nom, l’inventeur de la guillotine se nomme Antoine Louis. Il est alors secrétaire perpétuel de l’Académie de chirurgie. Il imagine ce mécanisme infernal dont l’adoption est validée par la République de 1792. C’est Joseph-Ignace Guillotin, docteur membre de la toute neuve Assemblée nationale, qui en fait la pub. Pour lui, une réforme pénale doit être votée, laquelle unifiera les conditions d’exécution de la peine de mort, et ce quel que soit le crime commis. Il y a là la volonté d’abolir un énième privilège : les roturiers étaient condamnés aux pires supplices quand les nobles avaient souvent droit (sauf décision royale) à une mort rapide (pendaison). Avec la Révolution, tout le monde a droit à la même mort publique (ou presque…).
Le premier condamné à tester la bête noire est un certain Pelletier. Le 25 avril 1972, les Parisiens viennent assister au spectacle avec moult curiosité mais, tout se passe si vite et si…proprement, qu’ils repartent déçus par tant d’efficacité…chirurgicale ! Cependant, la machine est lancée… La guillotine prend sa permanence sur la place de l’Hôtel de ville et ce sont des copies que l’on trimbale et que l’on envoie partout ailleurs, notamment en province.
En janvier 1793 néanmoins, on la déplace exceptionnellement pour LE spectacle : l’exécution du roi place de la Révolution (future place de la Concorde). D’autres ont droit à ce cadre symbolique comme Marie-Antoinette, Danton, Camille Desmoulins, Louis-Philippe d’Orléans, Robespierre : plus on est célèbre, plus on a droit à cet « honneur » pré-mortem.
Le 6 novembre 1793, le duc d’Orléans, chauve comme un œuf, ôte sa perruque en fanfaronnant bravement face au coiffeur qui rasait les nuques : « Voici qui me dispense de cette formalité essentielle« . Il ajoute enfin aux aides du bourreau approchant pour lui enlever ses bottes : « c’est du temps perdu, vous me débotterez bien plus aisément mort ; dépêchons-nous« .
Utilisée jusqu’au XXe siècle, la guillotine est affublée de nombreux surnoms : Louisette, Louison (en référence à Antoine Louis ou à Louis XVI), la veuve rouge, le rasoir national, le hachoir national, la bascule à charlot, le coupe-cigare, le moulin à silence, la cravate à Capet, le raccourcissement patriotique.
Selon les historiens, la machine a fait trépasser entre 15 000 et 50 000 personnes durant la seule période de la Révolution. Alors, si tout le monde venait voir la guillotine et réclamait « une autre ! une autre ! », comment un tel carnage a-t-il pu perdurer ?
Tout le monde venait voir la guillotine en action !
La presse de l’époque, toute fiévreuse d’une liberté toute neuve accordée dès 1789, rapporte avec une certaine emphase la rapidité avec laquelle la guillotine donne la mort à l’horizontale. Il n’en faut pas plus pour aiguiser la curiosité. Même si un cordon de soldats fait barrage au public et encadre l’échafaud, c’est une foule régulière qui assiste aux mises à mort.
Le peuple aime voir mourir ses propres bourreaux, ses oppresseurs ancestraux, rois, nobles, clercs et tous ceux qui les défendent. Pour assurer l’avenir du nouvel ordre en France, il faut supprimer toute trace de revendication et tout risque retour en arrière. La mort est plus que jamais un spectacle dont on se réjouit (tant que l’on n’est pas soi-même soupçonné et rapidement convaincu d’être un ennemi de la République).
On crie « vive la République ! » face à la tête brandie et sanglante de Louis XVI, on insulte une Marie-Antoinette affirmant que « plus rien ne peut plus [lui] faire de mal à présent », on hurle de joie lorsque la caboche du sanguinaire Hébert tombe tant il avait appelé à guillotiner les autres sous tous les prétextes possibles. Il arrive aussi que certaines exécutions attirent les foules car elles inquiètent : elles sont annonciatrices de malheur, de la fin d’une époque. C’est le cas pour la mise à mort de Danton et de ses partisans. Danton a toujours été plébiscité comme étant l’ami du peuple, sa condamnation montre au peuple que Robespierre et sa clique font main basse sur le pouvoir…et que personne n’est plus à l’abri. Mais on ne trompe plus le peuple comme on influence les juges révolutionnaires. Deux mois après la mort de son ancien compagnon de route, Robespierre est à son tour sanglé à la bascule.
« La nausée de la guillotine »
Bien plus qu’avant, c’est après l’exécution de Danton, alors que Robespierre voit des ennemis partout, réels aux frontières du pays et imaginaires tout autour de lui, que la guillotine n’en finit plus de tuer. Les condamnés traversent alors Paris, dans leur charrette de misère jusqu’à l’échafaud, face à une foule silencieuse et disparate, trop craintive pour manifester quoi que ce soit. Elle n’est cependant pas aveugle ni idiote : Robespierre fait perdurer la Terreur à son profit. Avec les années, le rythme soutenu des exécutions, la guillotine souffre d’un désamour populaire. Elle n’est plus le symbole de la République tuant la Monarchie, ni du vengeur sauvant la République des conspirateurs mais une machine de mort que rien n’arrête.
Il est évident que le temps où tout le monde venait voir la guillotine est révolu. On se plaint de l’odeur de sang, de mort dans les rues, sur les places. Alors on la change d’emplacement, passant de la place de la Révolution à celle de la Bastille, du Carrousel, puis à celle dite du Trône renversé (aujourd’hui place de la Nation). La fin de Robespierre ralentit le défilé de têtes sous le couperet mais il faut un nouveau changement de régime pour que la grande veuve ait droit à un relatif répit. En 1799, sous l’Empire et Napoléon Ier, la guillotine perdure mais elle entre, enfin, en pré-retraite.
Aller plus loin :
- Innocent (manga) de Shin’ichi Sakamoto
- Innocent rouge (manga)
- La Révolution française, les Années Lumière (film de Robert Enrico)
- La Révolution française, les Années Terribles (film de Richard T. Heffron)
S’amuser avec l’Histoire de la Révolution française :
- Jeu vidéo Assassin’s Creed Unity, Ubisoft
- Série Netflix La Révolution