6 juin 1944 | Les préparatifs du Jour Le Plus Long de l’Histoire
Pourquoi le 6 juin 1944 ? Que veut dire Jour J ou Overlord ? Quels sont les secrets de cette journée qui sonna le glas de l’Occupation allemande en Europe ? Histoire Sympa vous invite à prendre connaissance des préparatifs minutieux qui agitèrent les deux côtés de la Manche. Comment l’armée allemande envisageait-elle de stopper l’assaut ennemi ? Quels furent ces hommes qui se sont engagés dans la bataille la plus rude de leur temps ? Churchill le savait : il fallait retourner sur le continent en force et seule la France offrait suffisamment de ports et de points d’appuis logistiques. Hitler aussi le savait mais sa paranoïa l’empêcha de faire confiance à ses généraux sur place. Découvrez les clés d’une victoire alliée qui ne tint qu’à un fil.
Des hommes de toutes nationalités et de tous âges prêts pour le 6 juin 1944
Le débarquement, cette opération nommée Neptune au cœur du projet Overlord, est inédite. Trois millions d’hommes aux nationalités mêlées : Américains, Anglais, Irlandais, Écossais, Français, Canadiens, Tchécoslovaques, Grecs, Polonais, Danois, Norvégiens, Néozélandais, Australiens ont été entrainés et préparés pour l’invasion de l’Europe. Quelques 160 000 seront engagés dans cette première bataille.
Des hommes, tout simplement
Leur moyenne d’âge varie mais on sait que le service national aux USA est sélectif dès 1940 avec des hommes de 21 à 35 ans. Il y a là des soldats de tous poils, des gens qui, avant 1939 avaient une tout autre vie et des projets pleins la tête :
- des pères de famille ;
- des rescapés de Dunkerque et de la Bataille de France de 1940 ;
- des résistants de toute l’Europe qui ont choisi de quitter leur patrie pour mieux y revenir, armes en mains ;
- des juifs qui ont fui juste à temps et veulent reconquérir ce qu’on leur a volé : liberté, honneur, famille ;
- des gamins qui rêvaient de faire des études, du cinéma, du journalisme, d’ouvrir un commerce, de devenir riche ou simplement heureux ;
- des hommes déjà installés dans leur vie de professeur, de médecin, de policier, d’agriculteur, d’éleveur, de commerçant, etc. ;
- des réservistes, membres de la garde nationale, engagés volontaires ou incorporés dans le cadre d’un service militaire obligatoire ;
- sans oublier quelques énergumènes très motivés tels le français Philippe Keiffer qui a rejoint l’Angleterre et s’est engagé chez les bérets verts à 40 ans !
Ils seront répartis en différentes forces de frappe : parachutistes, infanterie, pilotes, marins, génie, etc. Les Américains débarqueront sur les plages codées Omaha et Utah, les Anglais avec les Français du commando Kieffer sur Gold et Sword, les Canadiens à Juno.
Un paquetage utile mais encombrant
L’équipement d’un soldat à destination des plages est de 32 kg. Le paquetage d’un parachutiste du 6 juin 1944 pèse jusqu’à 80 kg et même 130 kg. Il comprend :
- casque ;
- tenue complète ;
- pioche ;
- trousse médicale de base ;
- gourde et une tasse ;
- pochette contenant carte des côtes normandes, boussole, lame de scie ;
- sac musette ;
- rations de survie, des cigarettes, un briquet zippo, un savon, des lacets, un blaireau, un rasoir, un peigne, une brosse à dents, du dentifrice, une serviette de toilette, un mouchoir ;
- argent français « imprimé Londres » ;
- plaques d’identification sur chaîne ;
- boussole bracelet ;
- cuillère ;
- corde de 10 m ;
- grenade à fragmentation ;
- cricket dont le son doit servir à s’identifier dans de mauvaises conditions visuelles ;
- pistolet mitrailleur avec chargeur plein de 30 cartouches ;
- boite de munitions de 45 ;
- pochettes pour chargeurs supplémentaires pour calibre 45 (3 x 30 et 5 x 20 cartouches) ;
- sac à bretelles pour un maximum de 8 chargeurs de 45 (soit 30 x 8) ;
- grenade fumigène à phosphore blanc ;
- grenade fumigène rouge ;
- kit de survie avec nourriture, allume-feu, etc. ;
- sac de premiers secours avec morphine, seringue et bandage ;
- masque à gaz avec sa sacoche noire ;
- couteau de tranchée dans son fourreau ;
- pioche et sa housse en tissu ;
- gilet de sauvetage.
Sans compter les extras ! Certains gars peinent déjà à monter dans les avions de transport…
Un débarquement anticipé par Churchill dès 1940
Après la retraite in extremis de Dunkerque, Winston Churchill, tout juste élu Premier ministre de la couronne d’Angleterre, le sait, il le dit dans l’un de ses discours les plus connus. Il faudra revenir sur les côtes de France pour entamer le processus d’extermination de la menace nazie. Le vieux loup a beau avoir connu de cuisants échecs dans sa carrière politique, il a du nez pour ces choses-là.
N’a-t-il pas promis « du sang et des larmes » à ses concitoyens pour seule récompense de l’engagement de leur pays dans une guerre totale avec l’Allemagne ? Celle-ci se poursuit durant 9 mois avec la Bataille d’Angleterre alors qu’une poignée de pilotes repousse jour après jour les assauts aériens de l’ennemi au prix de lourdes pertes ? Tant et si bien que Hitler lui-même renonce, pour un temps, à attaquer et même envahir cette petite île rebelle.
Cette maigre victoire ne fait que décider plus encore Churchill dans son projet. Il n’a de cesse de solliciter les États-Unis. Leur appui logistique d’abord puis complet dès 1941. Le grand pays américain prend enfin conscience que cette guerre est mondiale et qu’il ne peut refuser plus longtemps d’y plonger les mains.
La puissance d’un allié indispensable : les États-Unis
L’année 1942 est plus favorable à Churchill qui s’emploie dès que possible à convaincre le président Roosevelt que la guerre devra être menée sur le continent. Pour cela, il leur faut des ports qui serviront de déversoirs pour les hommes, le ravitaillement et le matériel. Quel meilleur point de chute que la belle France, cernée par mers et océan ? Mais les ports sont bien défendus, il est donc impossible de les prendre de front.
Le Cotentin est le premier et sans doute le seul choix dans l’esprit de Churchill. C’est proche de Cherbourg, de Caen et surtout le voyage depuis l’Angleterre est de courte durée tant par bateau que par avion. L’opération d’invasion de la Normandie et de sa conquête est baptisée Overlord. On reconnaît la touche anglaise dans ce nom : cette opération « suzeraine » est donc vouée à refouler et à détruire l’envahisseur qui a piétiné la souveraineté des pays occupés.
Le 26 avril 1943. Le chef d’état-major anglais désigne le général F. Morgan comme commandant interallié de l’opération de débarquement. Du côté américain, ce sera Dwight Eisenhower début 1944. Il distingue le général Omar Bradley comme chef des unités américaines qui participeront au débarquement appelé opération Neptune.
La date de l’opération est fixée à mai 1944 ainsi que les forces qu’il convient de réunir, à minima : 29 divisions + 1 française sous la direction du général Leclerc avec un débarquement initial de 5 divisions + 2 en renfort. Une division compte, en moyenne 10 000 à 30 000 hommes mais on sait que les USA comptent 14 000 soldats par division. L’entraînement est sévère, parfois à balles réelles, et se déroule conjointement sur les sols américain et anglais.
Les forces allemandes aussi voyaient venir l’invasion
Hitler a des espions partout. Il sait ainsi dès 1943 qu’un débarquement en France est envisagé. Il se précipite donc pour renforcer ses défenses sur ce front Ouest. À cette époque, le vent a tourné en sa défaveur. Sa guerre contre la Russie a enlisé le gros de son armée et sapé le moral des troupes. Les combats sur ce front Est sont d’une rare férocité et le climat russe ne fait rien pour avantager les stratégies du Reich.
La tactique hitlérienne pour le front de l’Ouest
Hitler sait qu’il ne pourra combattre sur les deux fronts à la fois. Il se positionne donc en défense sur l’Ouest afin de repousser les forces anglo-américaines. Dans son esprit, si celles-ci sont repoussées à la mer comme à Dunkerque, ce sera une telle défaite que les Alliés seront ouverts à la négociation. Il compte sur le conflit opposant le Japon aux USA pour user ses ennemis. S’il joue bien son jeu, il gagnera du temps pour renforcer la pression sur le front Est tout en s’assurant la mise au point de nouvelles armes longue portée. Ses missiles V2, déjà testés à courte portée sur l’Angleterre, pourraient menacer Russie et USA. Il s’offrirait alors une telle suprématie que rien ni personne ne viendrait plus s’opposer à lui. Mais en 1943, tout ceci est encore pure spéculation tactique.
Un vieux soldat de la Wehrmacht face au 6 juin 1944
Dans un premier temps, il charge Karl Rudolf Gerd Von Rundstedt, un général de la vieille garde, du haut-commandement de l’Ouest. Le bonhomme est de ces militaires de carrière qui ont fait 14-18, mal accepté la défaite et plus encore la politique de Weimar. À tel point que, dépité, il tenta à plusieurs reprises de partir en retraite.
Que nenni, il fut chaque fois rappelé, notamment par Hitler en 1939. Von Rundstedt a alors 64 ans ! Mais en parfait membre de la Wehrmacht, formé à l’art de la guerre, il revient vainqueur de nombreuses batailles dont celle de France et de Dunkerque. Les choses se compliquent en 1941 sur le front russe. En dépit de ses avertissements et conseils, Hitler lui ordonne de suivre une tactique désastreuse. Dépité, et sentant l’amertume de la défaite se profiler, Von Rundstedt repart en retraite. L’année suivante, alors que les prévisions du vieux soldat se confirment, Hitler le rappelle et l’envoie en Normandie. Le grand plan du Führer porte le nom de Mur de l’Atlantique.
Mais cette disposition défensive est bien mal nommée ainsi que le constate par la suite Erwin Rommel, fraîchement arrivé fin 1943.
Un Mur de l’Atlantique façon passoire
En théorie, ce fameux mur qui impressionne plus par son nom que par sa réalité sur le terrain, devait couvrir les côtes de tout l’ouest de l’Europe, depuis la Norvège jusqu’à la frontière entre la France et l’Espagne. En pratique, c’est un chantier sans fin dont certaines zones sont favorisées au détriment des autres. Il faut dire que l’intoxication informative alliée fonctionne bien : le Pas-de-Calais est mieux protégé que la Baie de Seine.
Ainsi, lorsque Rommel arrive en Normandie, il constate que ce mur n’y a rien de réel. Il est morcelé sur des kilomètres, ses casemates et bunkers ne sont pas aussi nombreux que planifiés et aucun dispositif n’est en place sur les plages elles-mêmes. Les raisons en sont multiples :
- les matériaux manquent du fait de l’enlisement allemand en Russie ;
- les sabotages tant dans l’acheminement de ces matières premières que sur place sont nombreux ;
- les ouvriers du service de travail obligatoire font tout ce qu’ils peuvent pour retarder la construction sans se faire pour autant pointer dangereusement du doigt.
De plus, Von Rundstedt ne croit pas en la défense des plages. Il préfère pratiquer un affrontement dans les terres et a favorisé d’autres dispositifs comme l’inondation à foison dans la région, créant des marais au kilomètre. Il compte aussi sur la force aérienne pour protéger les plages et les sous-marins pour garder les ports.
La défense de Rommel : pièges et renforts du Mur de l’Atlantique
Rommel s’est frotté aux Alliés en Afrique et il sait que la force aérienne alliée dépasse celle de la Luftwaffe éparpillée. Il opte donc pour un renforcement immédiat des plages avec des :
- structures en béton pour y placer des mitrailleuses, des armes antichars et de l’artillerie face aux plages ;
- mines et obstacles antichars directement sur et sous le sable ;
- mines flottantes et obstacles sous-marins comme les fameuses « asperges de Rommel », de longs pieux plantés dans le sable destinés à briser les barges de débarquement.
Rommel veut enfin mettre toutes les chances du côté de sa contre-attaque sur le sable de Normandie. Il demande donc à ce que les Panzerdivisions soient basées au plus près des côtes afin de les faire intervenir rapidement. Il est contredit par Von Rundstedt qui préfère les garder en réserve, dans les terres. Pour le vieux général allemand, cet ennemi privé d’un accès à un port sera forcé de renoncer. Il est donc préférable de le laisser s’enliser à l’intérieur des terres alors qu’il tentera de gagner une ville portuaire. C’est sans compter sur le génie d’un autre vieux loup : Churchill a déjà tout prévu avec son port mobile façon mécano. Ce gadget géant peut être acheminé et monté n’importe où en un temps record.
Le 6 juin 1944, la date la plus incertaine de l’histoire de la guerre
Les choses avancent vite et les préparatifs sont immenses. Chaque jour, l’espionnage peut desservir les projets alliés. Si les services secrets s’échinent à empoisonner l’ennemi avec de faux messages mentionnant le Pas de Calais, de faux chars et de faux avions en baudruche pour des photos aériennes tronquées, le risque grandit d’être découverts. Ce serait dire adieu à l’effet de surprise et risquer un bombardement des équipements. Très vite au cours de l’année 1944, l’Angleterre grouille de soldats aux multiples nationalités. Tous attendent, s’entraînent, sans savoir que le Jour J tombera le 6 juin 1944. D’ailleurs, qui peut le dire ?
Le 12 mai, une réunion stratégique dirigée par Eisenhower décide du 5 juin avec report possible aux 6 et 7. L’information est gardée secrète par peur d’une fuite. Même les plus insignifiants soldats sont tenus de ne pas sortir de leur campement de base, d’écrire à leur famille ou de téléphoner. La répartition a donné les plages de Gold, Sword et Juno aux forces anglo-franco-canadiennes. Mais on manque de connaissance terrain pour ces deux dernières. Le 3 juin, deux sous-marins de poche sont envoyés sur place afin de faire des repérages. Ils devront ensuite guider les Alliés à l’aide de signaux lumineux.
La météo inattendue et difficile du 6 juin 1944
Plusieurs conditions doivent être réunies et les hommes n’ont aucune prises sur elles :
- une météo clémente ;
- une marée praticable ;
- une lune masquée.
Les deux dernières sont prévisibles mais la météorologie n’est déjà pas une science exacte à l’époque. Si les Alliés sont ici mieux équipés que les Allemands, ils n’en sont pas moins dépendants des caprices du temps. Or, la météo de ce mois de juin 1944 est effroyable : tempête avec forts vents et une pluie battante. Eisenhower renonce au 5 juin.
Mais lorsque, à 4h 15 du matin, un rapport émis par le service dédié prévoit une fenêtre de quelques heures pour une accalmie météo dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, l’ordre tombe.
Première force à être mise en marche : la Résistance entend sur les ondes l’appel aux armes. Les objectifs sont clairs depuis des mois : saboter lignes de chemins de fer et télécommunications. Sur ordre de Londres, 100 000 résistants et 40 000 maquisards sortent de l’ombre. Tout doit être fait pour que les renforts ennemis n’arrivent pas. Mais si la Résistance est équipée, il n’en est pas de même pour les maquis. Leurs velléités communisantes n’ayant pas inspiré confiance aux Alliés, ils sont sous-équipés. La majeure partie d’entre eux ne dispose que de peu d’équipements et de munitions : de quoi combattre une journée tout au plus !
Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, une formidable armée se met en route pour une étape décisive de la guerre, un combat féroce. Ponctué d’inattendus, de dérapages incontrôlés et de mauvaises surprises, ce jour le plus long tiendra ses promesses dans le feu et le sang, fauchant autant de vies militaires que civiles. « La liberté est à ce prix ».
Sources :
- 6 juin 1944, Débarquement en Normandie – victoire stratégique de la guerre, Général Jean Compagnon, collec. Histoire, éditions Ouest France, 2011 ;
- Wikimedia et Wikipedia pour les images libres de droits.